samedi 30 octobre 2021

Qui veut la peau de la Sécu ?

 Les hommes ne sont jamais aussi sages qu’au lendemain des guerres. Faudrait-il que le malheur fût à sa porte pour obliger l’humanité à se montrer plus aimable, plus compréhensive, plus en empathie et moins cruelle  envers elle-même.

C’est au lendemain de la guerre 39-45 que naquit en France la Sécurité Sociale. Ce ne fut pas le fruit du hasard, c’est le moins que l’on puisse dire. Ambroise Croizat son créateur, ministre communiste du travail de 1945 à 1947, dira « Désormais nous mettrons définitivement l’homme à l’abri du besoin. Nous en finirons avec l’angoisse du lendemain. »

La phrase est citée par Michel Etiévent récemment disparu et qui aura été lui aussi un grand défenseur de la Sécurité Sociale en valorisant l’action énergique et déterminée de Croizat en tant qu’il fut le grand maître d’œuvre d’une institution essentielle de notre pays.

Il y eut une sorte préhistoire de la sécu comme si le besoin de l’entraide et de la solidarité était le propre de la raison humaine. La famille d’abord mais pas seulement, les organisations caritatives, le plus souvent religieuses, étaient de nature à prendre le relais de l’assistanat des plus démunis. Ainsi le clergé y avait-il intérêt puisque cela lui permettait de faire le tri entre les bons et les mauvais pauvres, les bons pauvres étant ceux qui se soumettaient à ses directives et ses commandements. Quant aux mauvais pauvres ils étaient exclus, ou enfermés dans des asiles, voués à la damnation « sur la terre comme au ciel. »

Au moyen-âge l’entraide et la solidarité s’opéraient par le biais des corporations, autrement dit par les communautés de métier.

Ce n’est que sous la révolution française que l’idée ou plutôt l’intention d’une solidarité nationale et systémique se fit jour. Ainsi le droit à la santé fut mis au rang de « dette sacrée », exigence qui fut même inscrite dans la constitution de 1793 sous l’impulsion de Robespierre. Les secours se devaient d’être publics.

Le 19éme siècle donne naissance au capitalisme sauvage et à l’augmentation de la misère sociale. Les premières mutuelles virent le jour pour amortir tant soit peu les souffrances du prolétariat. Ces sociétés de prévoyance étaient une première réponse aux conséquences catastrophiques pour les familles d’ouvrier des accidents du travail qui le plus souvent condamnaient à l’invalidité ou à la mort.

Le patronat se mit à lutter contre ces sociétés de prévoyance dans la mesure où elles risquaient de laisser trop d’autonomie au mouvement ouvrier. Se développa ainsi le paternalisme patronal. Robert Pinot, du Comité des Forges pouvait ainsi déclarer « les industriels considèrent le patronage comme un devoir social qui en même temps stabilise et fidélise la main-d’œuvre. » cité par Michel Etiévent in « La sécurité sociale » éditions GAP

Le « patronage » permettait au patron de garder la main sur l’organisation et les actes de solidarité en interne de la force de travail face à la montée des risques sociaux.

 Mentionnons qu’en 1898 l’Etat commença d’intervenir dans le champ social par une loi obligeant les industriels à prendre en charge les conséquences des accidents du travail. Puis il y eut la loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes. C’est à cette date en particulier que le patronat parla des « charges » pour évidemment les dénoncer et les combattre avec vigueur.

 Une approche moderne de la protection sociale

Le principe d’une protection  sociale universelle fut acté par le CNR (Conseil National de la Résistance) qui se réunit pour la première fois en mai 1943. C’est en mars 1944 que le programme « les jours heureux » fut édicté :

« Nous combattants de l’ombre exigeons un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion par les intéressés et l’Etat. » En novembre 1944 une ordonnance rédigée par Pierre Laroque, haut fonctionnaire directeur des assurances sociales, établit les grands principes de la sécurité sociale. A cette époque la CGT compte 5 millions d’adhérents.

La mise en œuvre incombera à Ambroise Croizat, membre de la CGT, élu député communiste en 1936, déporté au bagne d’Alger au début de la guerre, puis nommé ministre du travail en novembre 1945.

Il déclare en 1946 : « Le plan de sécurité sociale ne tend pas seulement à l’amélioration de la situation matérielle des travailleurs, mais surtout à la création d’un ordre social nouveau dans lequel les travailleurs aient leur pleines responsabilités. » Ainsi l’accent est-il mis sur l’exigence démocratique et sociale de la Sécu, c’est aux travailleurs en premier lieu de décider de l’avenir et de la gestion de la sécurité sociale. Ce principe sera constamment l’objet des attaques du patronat et de la droite.

Il s’agira de procéder à un intense travail d’unification de plus d’un millier de caisses et d’organisme privés en 138 caisses primaires d’assurance-maladie et 113 caisses d’allocations familiales dans lesquelles les salariés seront largement représentés.

Ainsi l’Unicité (institution unique pour maladie, vieillesse, décès, invalidité, accidents du travail) est-elle respectée tout comme le principe d’Universalité (étendue à l’ensemble des citoyens)A ces deux principes clé s’ajoute celui de la Solidarité  entre les actifs et les inactifs, entre les générations, entre les malades et les bien portants)

Le 24 avril 1947 ont lieu les premières élections dans les Conseils d’Administration des caisses, la CGT arrivant largement en tête.

Il est à souligner la forte opposition du corps médical ainsi que celle des patrons qui refusent de siéger aux côtés de la CGT. Les compagnies d’assurance privées sont également vent debout devant la réforme. Plus paradoxale peut-être est l’opposition de la CFTC ou de la CGC.

En août 46 Ambroise Croizat décide d’une allocation-maternité vers un système de prestations familiales précurseur. Quant à la retraite Croizat entend en faire « une étape de la vie et non plus d’une antichambre de la mort », loi du 22 mai 1946.

 Une longue et constante volonté de destruction de la Sécu

 Dès le début le patronat français avait dénoncé le caractère totalitaire du projet de sécurité sociale. Les attaques vont redoubler avec l’éviction de ministres communistes en mai 1947. Pour le CNPF « La sécurité sociale met en danger l’économie du pays »

En fait les « charges » tant dénoncées par le patronat sont en réalité un salaire différé, socialisé. La sécu participe au développement de la richesse de tous et du pays.

De Gaulle, alors qu’il n’est plus au pouvoir, parle déjà en 1946 de réduire les dépenses sociales. Revenu aux affaires en 58, il tient ses promesses et par une ordonnance de la même année il met en place les premières franchises.

En 1967, Jeanneney, ministre des affaires sociales casse l’unicité de la sécurité sociale en créant trois caisses distinctes : maladie, allocations familiales, vieillesse. La gestion de la trésorerie  des différentes branches est confiée à l’Acoss. Elles deviennent des établissements publics contrôlés par l’Etat. Les mêmes ordonnances suppriment les élections CPAM et CAF.

A partir de là se déroule un long processus de déremboursement des soins. (Plan Barre 1974, plan Veil 1976)

En 1983 un forfait hospitalier est institué

1990 : instauration de la Contribution Sociale Généralisée (CSG). La porte est ouverte à la fiscalisation qui désengage les entreprises en ponctionnant les salariés et les retraités

Juillet 93 : réforme Veil-Balladur qui fait passer à 40 ans la durée de cotisation pour avoir droit à la retraite, la référence pour le calcul des pensions passe des 10 meilleures années aux 25 meilleures. La CSG fait l’objet d’une nouvelle augmentation.

1995 : CRDS (contribution au remboursement de la Dette Sociale)

1996 : réforme des retraites complémentaires, baisse de 20% environ des retraites (signature MEDEF, Cfdt, Fo, Cftc)

Le Medef annonce une « refondation sociale » en 2001 à Strasbourg

Tarification à l’activité dans les hôpitaux  (plan Mattei en 2002)

2 milliards d’euros de Dépassement d’honoraires en 2005 à la charge des malades

Loi sur les retraites en juillet 2003 (Raffarin-Chirac) et celle de novembre 2010

Exonération des cotisations sociales : 25 milliards en2007, 30 milliards en 2012

Résistance

L’ensemble de ces mesures révèle l’intention de privatiser à terme la santé publique. La sécurité sociale est assise sur un budget de 540 milliards d’euros qui échappent donc au monde de la finance. Pour les néo-libéraux la santé est un marché comme les autres, la concurrence doit s’y  exercer librement.

Le rêve des néo ou des sociaux-libéraux, tels Strauss-Kahn ou de Bébéar le patron d’Axa est d’instaurer des fonds de pension à la française.

Or la sécurité sociale stimule l’essor économique du pays. Ainsi « Les trente glorieuses » est une période où les prélèvements obligatoires étaient les plus importants. Le secteur de la santé représente 10% des emplois. L’investissement social est un investissement économique.

 L’assiette des cotisations : en considérant le contexte économique et financier dans lequel nous sommes, sans doute y-a-t-il lieu de réformer l’assiette des cotisations en mettant les revenus financiers à contribution. Ceux-ci se montent à 320 milliards d’euros auxquels il faut ajouter 31 milliards d’exonérations patronales. En 1970, 70% de la richesse créée en France allait aux salaires, aujourd’hui seulement 60%. Il est urgent de se battre pour une autre répartition des richesses qui permettra de sauver la Sécurité sociale des mains des spéculateurs.

Le poids du lobbying pharmaceutique ou celui des laboratoires ne cessent d’augmenter. C’est pourquoi il faut tendre vers un pôle public du médicament. Et rendre la sécurité sociale et sa gestion aux intéressés eux-mêmes, principe démocratique qui figurait dans les articles du programme du CNR.

Autonomie

La loi du 6 août 2020 porte création d’une 5éme branche de la sécurité sociale en plus des branches maladie, vieillesse, famille, et recouvrement (Acoss).

La Loi de financement de la sécurité sociale 2021 a finalisé cette nouvelle branche pour prendre en charge les personnes âgées et handicapées.

La CNSA (caisse nationale solidarité autonomie) doit gérer avec un objectif de dépenses 31,5 milliards d’euros en 2021. La CNSA crée en 2003 suite à la canicule est un établissement public en dehors de la sécurité sociale dans laquelle les collectivités locales et l’Etat sont dominants (peu de représentants de salariés)

La CGT revendique que la question de l’autonomie soit intégrée à la branche maladie de la sécurité sociale

Le financement de la branche autonomie sera assuré par l’impôt et non par les cotisations sociales, 90% de ses ressources provenant de la CSG. Cela est regrettable.

L’augmentation de la CSG sera incontournable pour répondre à l’augmentation du nombre des personnes âgées.

Et il y aurait donc nécessité plutôt d’intégrer le dispositif dans une sécurité sociale intégrale.

La Cgt exige la mise en place d’un grand service public de l’autonomie avec 200 000 embauches dans les Ehpad et 100 000 personnes dans le secteur de l’aide à domicile.

Avec la sécu, on paye selon ses moyens, où l’on reçoit selon ses besoins.

Si rien n’est fait, l’horizon risque de s’obscurcir pour les classes populaires, car nous allons vers un système inégalitaire qui deviendra bientôt la proie d’intérêts privés. Il y a urgence à sauver la plus miraculeuse des inventions du 20éme siècle.

 

JMarc Gardère

 

NB article paru dans "Démocratie et Socialisme" de Novembre 2021

 

 


lundi 25 octobre 2021

Les vraies questions

Admettons que l'immigration soit un problème, serait-ce le seul ? 

N'y a-t-il pas beaucoup plus important ?


La France serait-elle tombée si bas, et ses élites surtout, celles qui font l'opinion faute de n'avoir pas de vision politique, pour ne pas voir que la question migratoire est artificielle et dérisoire à côté de l'importance du fait social et écologique, (emploi, salaires, inégalités, transition écologique) ?
 
Comment faire pour que le débat politique trouve (ou retrouve ?) une objectivité et une pluralité nécessaires, l'objectivité signifiant de retourner aux faits et à leur analyse sereine et mesurée ?
 
Or aujourd'hui l'émotion facile, instrumentalisée, trop souvent fondée sur la haine, l'emporte sur la réflexion au mépris de l'exigence démocratique.
 
A qui profite le crime ?

JMG


paru dans le Progrès de Lyon (15 octobre 2021)