Les hommes ne sont jamais aussi sages qu’au lendemain des guerres. Faudrait-il que le malheur fût à sa porte pour obliger l’humanité à se montrer plus aimable, plus compréhensive, plus en empathie et moins cruelle envers elle-même.
C’est au lendemain de la guerre
39-45 que naquit en France la Sécurité Sociale. Ce ne fut pas le fruit du
hasard, c’est le moins que l’on puisse dire. Ambroise Croizat son créateur,
ministre communiste du travail de 1945 à 1947, dira « Désormais nous
mettrons définitivement l’homme à l’abri du besoin. Nous en finirons avec
l’angoisse du lendemain. »
La phrase est citée par Michel
Etiévent récemment disparu et qui aura été lui aussi un grand défenseur de la
Sécurité Sociale en valorisant l’action énergique et déterminée de Croizat en
tant qu’il fut le grand maître d’œuvre d’une institution essentielle de notre
pays.
Il y eut une sorte préhistoire de
la sécu comme si le besoin de l’entraide et de la solidarité était le propre de
la raison humaine. La famille d’abord mais pas seulement, les organisations
caritatives, le plus souvent religieuses, étaient de nature à prendre le relais
de l’assistanat des plus démunis. Ainsi le clergé y avait-il intérêt puisque
cela lui permettait de faire le tri entre les bons et les mauvais pauvres, les
bons pauvres étant ceux qui se soumettaient à ses directives et ses commandements.
Quant aux mauvais pauvres ils étaient exclus, ou enfermés dans des asiles,
voués à la damnation « sur la terre comme au ciel. »
Au moyen-âge l’entraide et la
solidarité s’opéraient par le biais des corporations, autrement dit par les
communautés de métier.
Ce n’est que sous la révolution
française que l’idée ou plutôt l’intention d’une solidarité nationale et systémique
se fit jour. Ainsi le droit à la santé fut mis au rang de « dette
sacrée », exigence qui fut même inscrite dans la constitution de 1793 sous
l’impulsion de Robespierre. Les secours se devaient d’être publics.
Le 19éme siècle donne naissance
au capitalisme sauvage et à l’augmentation de la misère sociale. Les premières
mutuelles virent le jour pour amortir tant soit peu les souffrances du
prolétariat. Ces sociétés de prévoyance étaient une première réponse aux
conséquences catastrophiques pour les familles d’ouvrier des accidents du
travail qui le plus souvent condamnaient à l’invalidité ou à la mort.
Le patronat se mit à lutter
contre ces sociétés de prévoyance dans la mesure où elles risquaient de laisser
trop d’autonomie au mouvement ouvrier. Se développa ainsi le paternalisme
patronal. Robert Pinot, du Comité des Forges pouvait ainsi déclarer « les
industriels considèrent le patronage comme un devoir social qui en même temps
stabilise et fidélise la main-d’œuvre. » cité par Michel Etiévent in « La sécurité sociale » éditions
GAP
Le « patronage » permettait
au patron de garder la main sur l’organisation et les actes de solidarité en
interne de la force de travail face à la montée des risques sociaux.
Le principe d’une protection sociale universelle fut acté par le CNR
(Conseil National de la Résistance) qui se réunit pour la première fois en mai
1943. C’est en mars 1944 que le programme « les jours heureux » fut
édicté :
« Nous combattants de
l’ombre exigeons un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous
les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de
se les procurer par le travail, avec gestion par les intéressés et
l’Etat. » En novembre 1944 une ordonnance rédigée par Pierre Laroque, haut
fonctionnaire directeur des assurances sociales, établit les grands principes
de la sécurité sociale. A cette époque la CGT compte 5 millions d’adhérents.
La mise en œuvre incombera à
Ambroise Croizat, membre de la CGT, élu député communiste en 1936, déporté au
bagne d’Alger au début de la guerre, puis nommé ministre du travail en novembre
1945.
Il déclare en 1946 : « Le
plan de sécurité sociale ne tend pas seulement à l’amélioration de la situation
matérielle des travailleurs, mais surtout à la création d’un ordre social
nouveau dans lequel les travailleurs aient leur pleines responsabilités. »
Ainsi l’accent est-il mis sur l’exigence démocratique et sociale de la Sécu,
c’est aux travailleurs en premier lieu de décider de l’avenir et de la gestion
de la sécurité sociale. Ce principe sera constamment l’objet des attaques du
patronat et de la droite.
Il s’agira de procéder à un
intense travail d’unification de plus d’un millier de caisses et d’organisme
privés en 138 caisses primaires d’assurance-maladie et 113 caisses
d’allocations familiales dans lesquelles les salariés seront largement
représentés.
Ainsi l’Unicité (institution
unique pour maladie, vieillesse, décès, invalidité, accidents du travail)
est-elle respectée tout comme le principe d’Universalité (étendue à l’ensemble
des citoyens)A ces deux principes clé s’ajoute celui de la Solidarité entre les actifs et les inactifs, entre les
générations, entre les malades et les bien portants)
Le 24 avril 1947 ont lieu
les premières élections dans les Conseils d’Administration des caisses, la CGT
arrivant largement en tête.
Il est à souligner la forte
opposition du corps médical ainsi que celle des patrons qui refusent de siéger
aux côtés de la CGT. Les compagnies d’assurance privées sont également vent
debout devant la réforme. Plus paradoxale peut-être est l’opposition de la CFTC
ou de la CGC.
En août 46 Ambroise Croizat
décide d’une allocation-maternité vers un système de prestations familiales
précurseur. Quant à la retraite Croizat entend en faire « une étape de la
vie et non plus d’une antichambre de la mort », loi du 22 mai 1946.
En fait les « charges »
tant dénoncées par le patronat sont en réalité un salaire différé, socialisé.
La sécu participe au développement de la richesse de tous et du pays.
De Gaulle, alors qu’il n’est plus
au pouvoir, parle déjà en 1946 de réduire les dépenses sociales. Revenu aux
affaires en 58, il tient ses promesses et par une ordonnance de la même année
il met en place les premières franchises.
En 1967, Jeanneney, ministre des
affaires sociales casse l’unicité de la sécurité sociale en créant trois
caisses distinctes : maladie, allocations familiales, vieillesse. La
gestion de la trésorerie des différentes
branches est confiée à l’Acoss. Elles deviennent des établissements publics
contrôlés par l’Etat. Les mêmes ordonnances suppriment les élections CPAM et
CAF.
A partir de là se déroule un long
processus de déremboursement des soins. (Plan Barre 1974, plan Veil 1976)
En 1983 un forfait
hospitalier est institué
1990 : instauration de la Contribution
Sociale Généralisée (CSG). La porte est ouverte à la fiscalisation qui
désengage les entreprises en ponctionnant les salariés et les retraités
Juillet 93 : réforme Veil-Balladur
qui fait passer à 40 ans la durée de cotisation pour avoir droit à la retraite,
la référence pour le calcul des pensions passe des 10 meilleures années aux 25
meilleures. La CSG fait l’objet d’une nouvelle augmentation.
1995 : CRDS (contribution au
remboursement de la Dette Sociale)
1996 : réforme des retraites
complémentaires, baisse de 20% environ des retraites (signature MEDEF, Cfdt, Fo,
Cftc)
Le Medef annonce une « refondation
sociale » en 2001 à Strasbourg
Tarification à l’activité dans
les hôpitaux (plan Mattei en 2002)
2 milliards d’euros de
Dépassement d’honoraires en 2005 à la charge des malades
Loi sur les retraites en juillet
2003 (Raffarin-Chirac) et celle de novembre 2010
Exonération des cotisations
sociales : 25 milliards en2007, 30 milliards en 2012
Résistance
L’ensemble de ces mesures révèle
l’intention de privatiser à terme la santé publique. La sécurité sociale est
assise sur un budget de 540 milliards d’euros qui échappent donc au monde de la
finance. Pour les néo-libéraux la santé est un marché comme les autres, la
concurrence doit s’y exercer librement.
Le rêve des néo ou des
sociaux-libéraux, tels Strauss-Kahn ou de Bébéar le patron d’Axa est d’instaurer
des fonds de pension à la française.
Or la sécurité sociale stimule
l’essor économique du pays. Ainsi « Les trente glorieuses » est une
période où les prélèvements obligatoires étaient les plus importants. Le
secteur de la santé représente 10% des emplois. L’investissement social est un
investissement économique.
L’assiette des cotisations : en
considérant le contexte économique et financier dans lequel nous sommes, sans
doute y-a-t-il lieu de réformer l’assiette des cotisations en mettant les
revenus financiers à contribution. Ceux-ci se montent à 320 milliards d’euros
auxquels il faut ajouter 31 milliards d’exonérations patronales. En 1970, 70%
de la richesse créée en France allait aux salaires, aujourd’hui seulement 60%.
Il est urgent de se battre pour une autre répartition des richesses qui
permettra de sauver la Sécurité sociale des mains des spéculateurs.
Le poids du lobbying pharmaceutique
ou celui des laboratoires ne cessent d’augmenter. C’est pourquoi il faut tendre
vers un pôle public du médicament. Et rendre la sécurité sociale et sa gestion
aux intéressés eux-mêmes, principe démocratique qui figurait dans les articles
du programme du CNR.
Autonomie
La loi du 6 août 2020 porte création d’une 5éme branche de la sécurité sociale en plus des branches maladie, vieillesse, famille, et recouvrement (Acoss).
La Loi de financement de la sécurité sociale 2021 a finalisé cette nouvelle branche pour prendre en charge les personnes âgées et handicapées.
La CNSA (caisse nationale solidarité autonomie) doit gérer avec un objectif de dépenses 31,5 milliards d’euros en 2021. La CNSA crée en 2003 suite à la canicule est un établissement public en dehors de la sécurité sociale dans laquelle les collectivités locales et l’Etat sont dominants (peu de représentants de salariés)
La CGT revendique que la question de l’autonomie soit intégrée à la branche maladie de la sécurité sociale
Le financement de la branche autonomie sera assuré par l’impôt et non par les cotisations sociales, 90% de ses ressources provenant de la CSG. Cela est regrettable.
L’augmentation de la CSG sera incontournable pour répondre à l’augmentation du nombre des personnes âgées.
Et il y aurait donc nécessité plutôt d’intégrer le dispositif dans une sécurité sociale intégrale.
La Cgt exige la mise en place d’un grand service public de l’autonomie avec 200 000 embauches dans les Ehpad et 100 000 personnes dans le secteur de l’aide à domicile.
Avec la sécu, on paye selon ses moyens, où l’on reçoit selon ses besoins.
Si rien n’est fait, l’horizon
risque de s’obscurcir pour les classes populaires, car nous allons vers un
système inégalitaire qui deviendra bientôt la proie d’intérêts privés. Il y a
urgence à sauver la plus miraculeuse des inventions du 20éme siècle.
JMarc Gardère