lundi 29 mai 2023

La République jusqu'au bout

On peut tout lui faire dire à la République et beaucoup dans l’Histoire ne s’en sont pas privés en tordant les valeurs qui lui sont attachées,  en les  distordant même jusqu’à en faire des outils de la répression.

Jean-Fabien Spitz, professeur de philosophie politique, dans son essai*, revient sur les conséquences des politiques économiques et sociales qui affectent la population laborieuse depuis une quarantaine d’année en France. Ainsi il rappelle que la part des salaires sur la valeur ajoutée en France a baissé de 10 points passant de 74% en 1977 à 64% en 2007 au profit direct du capital. Cela est dû à des politiques délibérées produisant une précarité accrue au sein  du salariat. Il souligne en parallèle le repli identitaire qui affecte un bon tiers de l’électorat.

La question est de savoir comment sont considérées les valeurs républicaines dans un contexte de capitalisme triomphant, et surtout de quelles interprétations ou utilisations elles sont l’objet.

Le versant politique du libéralisme se limite seulement aux droits des individus et s’oppose à l’idée d’un Etat régulateur. La tyrannie de la marchandisation peut donc se déployer sans plus d’entrave. Paradoxalement le capitalisme agressif a besoin d’un Etat suffisamment fort lui garantissant la concurrence dans un marché qui vitalement doit rester en extension.

Mais ce capitalisme sans entrave fait que la société qui l’engendre se délite sous la frappe des inégalités sociales ou économiques. Le capitalisme triomphant ne peut ignorer longtemps la démocratie politique, ne serait-ce que pour se fonder sur une adhésion citoyenne dont il a un absolu besoin. Il s’agit donc pour ce libéralisme de veiller à produire du « consentement »  pour lui permettre de poursuivre son développement.

C’est ici qu’intervient « la République » mais telle que veulent la penser les néo-libéraux abandonnant et niant par là-même sa mission séculaire d’émancipation, au profit d’un autoritarisme délibéré. Cette république-là, méconnaissable, affaiblie à l’extrême, ne fait donc plus obstacle à « la tyrannie de la marchandisation » mais au contraire la façonne à sa manière en faisant croire à la fusion prétendument heureuse des rapports marchands avec l’autorité politique. La république se transforme en conséquence en un alibi  pour la défense de l’ordre établi. Et Spitz de rappeler un Adolphe Thiers réprimant, sous la Commune, les forces démocratiques qui défendaient une société d’égaux libres et indépendants.

C’est au nom de cette république falsifiée que sont votés par exemple des lois qui portent atteinte aux libertés publiques. Et de citer, si proches de notre actualité, les lois de répression et de surveillance telles celles de mars 2010, ou encore la loi « anti-casseurs » du 10 avril 2019, et enfin celle scélérate du 25 mai 2021 « pour une sécurité globale » même si elle fut, en partie, (notamment l’article 24 du projet), jugée anticonstitutionnelle.

 

 Liberté, égalité, fraternité, laïcité

Ainsi nait et se développe une idéologie de nature sécuritaire contraire à un impératif de sûreté soucieux de l’intérêt général. Les discriminations et exclusions sont niées, et l’inégalité consacrée sous le couvert d’une « égalité » apparente ou abstraite, dans un contexte d’accélération déraisonnée des inégalités sociales, comme dans notre pays depuis quelques dizaines d’années. L’exclusion ainsi engendrée dans notre société alimente de surcroit le repli identitaire au lieu de le combattre comme le ferait une République sociale exemplaire.

Quant à la liberté, dépendante du marché, calibrée à son service, elle se voit privée de ses valeurs politiques qui pourtant fondent la souveraineté du peuple. La liberté individuelle, avec le contrat comme mode de fonctionnement, s’établit au détriment d’une liberté collective capable de promouvoir et de défendre l’indépendance des plus faibles dans la société.

La valeur de fraternité est donc elle-même remise en cause par le marché puisque ce dernier ne saurait tolérer l’inquisition d’un Etat providence qui chercherait à déterminer les besoins individuels, à juger le mode de vie des plus pauvres, et qui prétend les assister–« un pognon de dingue ! » – au lieu de créer les conditions de leur indépendance économique.

Relativement à la notion de laïcité, la République est convoquée, mais là encore de manière frauduleuse, pour conforter et affirmer les identités religieuses, nationales ou culturelles à un moment où précisément ceux qui emploient ce vocabulaire s’ingénient à détruire les institutions sociales qui rendent possible la cohésion nationale.

Dès lors, la République devient une arme des conservateurs, une manière pour la droite de dissimuler les inégalités et non plus une arme de la gauche pour défendre une société égalitaire. Ce ne doit pas être une raison pour en abandonner le principe.

La République doit rester celle de Louis Blanc ou de Jaurès, Louis Blanc qui écrivait un an avant sa mort : « la République ce n’est pas seulement l’hérédité monarchique supprimée,  le principe d’association consacrée, le droit de réunion reconnu, la conscience affranchie, la pensée libre. La République, c’est l’école ouverte aux pauvres comme aux riches, c’est la possession des instruments de travail rendue de plus en plus accessible aux travailleurs ; c’est l’abolition graduelle du prolétariat ; c’est l’incessante recherche des moyens à employer pour que tous arrivent à pouvoir développer librement leurs facultés inégales, pour que la joie des uns ne s’achète pas au prix de la douleur des autres. »

Si l’on veut éviter l’extrémisme, il est une seule solution viable, celle de réduire les inégalités sociales par la voie d’une véritable démocratie politique, définition même d’une République responsable, factrice d’émancipation citoyenne.

Jaurès n’a-t-il pas dit du socialisme qu’il était la République jusqu’au bout ?

JMarc Gardère

*La République ? Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme politique, Jean-Fabien Spitz, Gallimard, NRF essais

 

lundi 8 mai 2023

Résistances

Emmanuel Macron fait interdire, par préfets interposés, les manifestations appelées par les organisations syndicales dans un certain nombre de villes, notamment à Lyon, contestant sa politique de casse sociale. 

Il le fait un huit mai, jour de la capitulation de l'Allemagne nazie. Méconnait-il que c'est au lendemain de cette guerre que les principales conquêtes sociales furent mises en place sous l'impulsion des forces politiques issues de la Résistance ?

Ainsi ces entraves aux manifestations syndicales, sous prétexte que ces dernières porteraient atteinte à la tranquillité et au bon déroulement des célébrations officielles, sont-elles contraires à l'esprit même de ce qui conduit à la victoire de 1945, en négation des acquis sociaux qui suivirent au prix d'un combat héroïque, tel celui de Jean-Moulin notamment, et de tant d'autres, que Monsieur Macron prétend vouloir honorer.

JMG