dimanche 23 octobre 2022

Immigration : le grand affollement

 Le martyre de Lola, cette enfant dont l’assassin présumée est une jeune femme  immigrée en situation irrégulière et frappée par une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), aura à nouveau suscité les ferments de la haine et de l’indécence portés par une droite et une extrême-droite plus motivées que jamais à pourfendre sans nuance l’immigration. Il est si facile de jouer avec les peurs et l’ignorance pour atteindre ou asseoir un pouvoir. La question de l’immigration demeure, comme l’insécurité, un moyen idéologique pour les droites extrêmes de parvenir au pouvoir.  

On y a retrouvé Marine Le Pen mais aussi une droite plus classique tout autant à son affaire comme celle des « Républicains » personnalisé, l’air de ne pas y toucher, par un Retailleau plus sournois et à l’aise que jamais sous les ors du Sénat. Ces attaques des droites extrêmes, martelées par des chaînes d’information sans concession sont dirigées contre la gauche qui elle est  présentée comme laxiste et aveugle.

Il s’agit de répondre à cette droite pour ne pas la laisser seule maîtresse d’une question essentielle que la gauche dans sa diversité aurait tort en effet de négliger. Que la discussion puisse avoir lieu sur des bases objectives et saines.

D’où et combien ?

Selon la définition donnée par l’INSEE « Un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France ».

Rappelons d’abord que le taux d’immigration en France est le plus faible des pays de l’OCDE*. Il est à peine de 9% alors qu’il se monte à plus de 20% dans des pays comme l’Australie, le Luxembourg, le Canada, la Suisse et entre 14 et 20%  s’agissant de l’Irlande, la Suède, la Belgique, la Norvège ou l’Espagne.

L’Allemagne et les Etats-Unis se situent exactement dans la moyenne des pays de l’OCDE soit entre 13 et 14%.

Les six millions d’immigrés que l’on compte dans notre pays sont donc loin, de par le nombre déjà, de constituer une menace comparée à celle qu’elle présenterait dans les pays les plus proches économiquement du nôtre.

Au vu de ces chiffres la France n’est pas ou n’est plus ce grand pays d’accueil dont on se plait  parfois à étaler les mérites de l’hospitalité. Elle n’est pas non plus des plus généreuses en matière d’accueil des réfugiés humanitaires. Il faut à ce propos rappeler que ce sont précisément les pays en développement qui accueillent la majorité des réfugiés. Sur les 65 millions de personnes déplacées dans le monde neuf sur dix sont accueillis dans et par des pays ou les régions les moins avancées sur le plan économique ou social.

A cet égard elle serait même fermée dans ses frontières, peu encline en réalité à recevoir « tout la misère du monde ». Et d’ailleurs est-bien la misère que l’on reçoit dans ce cas ? N’est-ce pas plutôt une part de richesse de ces pays à l’émigration subie.

En effet, Il faut pour émigrer non seulement du courage mais aussi et surtout  détenir un certain capital social et économique. Il faut de l’argent, de l’instruction propres à combattre la misère, il faut donc être plus riches ou éduqués que d’autres pour parvenir à entrer dans un pays étranger qui d’emblée vous rejette. Les plus qualifiés ou les moins pauvres sont donc les plus aptes à partir.

Ainsi plus de la moitié des réfugiés qui affluaient à l’époque de Sangatte notamment, étaient titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

Quarante-trois pour cent des personnes entrées comme migrants et qui ont un travail permanent sont d’anciens étudiants ayant poursuivi leurs études en France. Misère peut-être mais misère éduquée avec un fort potentiel dont d’autres pays que le nôtre, la Grande-Bretagne notamment mais aussi l’Allemagne, auront su profiter plutôt que de les considérer a priori comme des handicaps.

Dans ces conditions une politique sélective de l’immigration n’est même plus souhaitable dans la mesure où elle est difficilement adaptable à la complexité et à la diversité du marché du travail.

Martellement d’idées reçues

L’autre idée est que les immigrés feraient baisser les salaires. En fait il se trouve que les immigrés et les autochtones ne sont pas en concurrence mais sont complémentaires sur les différents types de postes.

De même les immigrés ne sont pas attirés exclusivement par la protection sociale existant dans notre pays. Ils sont surreprésentés dans les classes en âge de travailler et donc contribuent davantage que les autres salariés au budget de l’Etat comme à celui de la sécurité sociale.

Pour la gauche il est essentiel, si elle entend rester jalouse de ses valeurs,  de défendre les droits des immigrés. Le mépris et la négation de leurs droits constituent un obstacle de taille à leur intégration. Ainsi faudrait-il même élargir ces droits aux élections locales. Pour l’heure que soit appliquée la convention des Nations-Unies du 18 décembre 1990 pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Une politique de régularisation est de nature à contourner le piège de la clandestinité qui n’est bon pour personne.

Le meurtre de Lola a été perpétré par une femme atteinte de troubles psychiatriques sévères. Qu’elle ait été sous le coup d’une OQTF ne change pas grand-chose, n’en déplaise à une droite manipulatrice, indigne, et peu sensible finalement, à la douleur de la famille. Ce meurtre effroyable en dit long sur la misère psychiatrique qui frappe notre pays depuis plusieurs années. Il nous instruit aussi, considérant les réactions des droites extrêmes, de la nécessité d’une véritable politique de l’immigration qui ne soit pas seulement guidée par la haine et la déraison.

 JMG

     

*L’immigration en France E.M Mouhoud, Fayard

Article paru dans le numéro 300 de "Démocratie et Socialisme" magazine qui fête ses trente ans le 10 décembre prochain 

mercredi 12 octobre 2022

Mensonges

Le conflit actuel qui oppose, dans les raffineries, la CGT et les directions de Exxon et de Total rend folles les chaînes d'information en continue, CNews notamment.

De prétendus "experts", ou des "journalistes" ou éditorialistes patentés n'hésitent pas sur les plateaux à mentir de façon grossière pour affirmer que les ouvriers salariés de ces sociétés gagneraient 4000 voire 5000 euros par mois. La réalité est bien  plus ordinaire en matière de salaires, ceux-ci se situant plutôt aux alentours tout au plus de 2500 euros net en moyenne, primes ou intéressements compris.

Voilà donc comment une certaine presse choisit de discréditer coûte que coûte un mouvement social juste et légitime. Il serait temps de parvenir à une pluralité de l'information et ne pas la laisser aux mains exclusives d'oligarques improductifs et sans scrupules, par ailleurs actionnaires de sociétés aux finances florissantes.

JMG

 

lundi 3 octobre 2022

Privatisation du rail : pas bon pour les usagers, pas bon pour le climat

 Les transports collectifs par nature pourraient, si volonté politique il y avait, constituer un atout pour combattre le réchauffement climatique dont les effets s’imposent aujourd’hui au monde entier de manière dramatiquement évidente.

C’est pourquoi il est important de se pencher sur le mode de gestion des transports collectifs en les faisant correspondre à leur statut naturel de bien commun.

 

Le train en particulier est un moyen de transport collectif qui doit être géré dans le souci de cet intérêt général auquel l’idéologie libérale  fait obstacle depuis de nombreuses années en Europe.

Jusqu’au début des années mille neuf cent quatre-vingt-dix le rail était généralement sous gouvernance et gestion publiques.  

Dérégulation et démantèlements

Au Royaume-Uni le rail aura été libéralisé dès les années 1980 sous le règne sans concession de Margaret Thatcher qui donnera en quelque sorte le « la » à l’ensemble de l’Europe. Cela concernait aussi bien l’exploitation que la gestion du réseau. Cela aura conduit à des catastrophes, y compris humaines et sociales. Voir à cet égard le film de Ken Loach « The navigators » de 2001, qui brosse un tableau réaliste du monde des cheminots britanniques après la privatisation de l’ensemble du réseau ferroviaire.

En Italie la libéralisation se produit à partir de 2000 sur les lignes régionales, et c’est en 2012 que le gouvernement italien concédera des lignes à grande vitesse « low cost » à un opérateur privé.

En Allemagne la libéralisation remonte aux années quatre-vingt-dix mais l’Etat fédéral reste cependant maitre et responsable du réseau, et reprendra plus tard à son compte la dette de la « Deutsch Bahn ».

La France bien sûr ne sera pas en reste et aura la volonté de demeurer le bon élève de l’Europe en matière de libéralisation du transport ferroviaire.

Pour la Commission Européenne, enserrée dans l’obsession (1957) d’une concurrence libre et non faussée, cette dérégulation doit permettre  le renforcement de la compétitivité d’entreprises ferroviaires à visage nouveau, ainsi débarrassées du carcan que leur imposeraient les Etats dans leur fonction d’autorité organisatrice de transport.

La Commission dès 1991 se détermine pour une séparation entre la gestion des infrastructures et leur exploitation. Ainsi est créée Réseau Ferré de France (RFF) séparée désormais de la SNCF société historique ( RFF deviendra Sncf Réseau en 2015).

En 2001, sous le vocable d’un « premier paquet ferroviaire », les Etats membres de l’Union se mettent d’accord pour un projet de libéralisation du fret européen qu’il soit trans-national ou national. Il est même prévu de mettre en place des autorités indépendantes de contrôle permettant de veiller à l’instauration  de cette sacro-sainte concurrence.

Puis on assiste en 2004 à la mise en place d’un deuxième paquet ferroviaire qui libéralise complétement le fret pour tous les Etats de l’Union. Ainsi est effective en 2006 une ouverture à la concurrence du fret international et en 2007 celle du fret national. Le fret ferroviaire n’y aura rien gagné et au contraire le transport routier aura pris le dessus contre toute sagesse environnementale.

En 2007 encore un « troisième paquet ferroviaire » libéralise le transport international de passagers et ce à partir de 2010.

En 2016 un « quatrième paquet ferroviaire » vise alors le transport national de passagers. Rappelons-le que l’Allemagne et le Royaume Uni avaient déjà enclenché et largement réalisé l’ouverture de leur réseau à la concurrence.

Fin 2019, en France, s’ouvrent à la concurrence des lignes conventionnées telles que les lignes régionales TER et les lignes Inter cités dépendantes de l’Etat. Idem pour les TGV qui en principe sont eux aussi soumis à concurrence, notamment sur les lignes internationales.

Mais ce ne sera encore qu’une possibilité pour toute autorité organisatrice de transport, l’obligation ne deviendra effective qu’en 2023.

L’objectif est une ouverture totale à la concurrence en 2039 au plus tard, y compris le Transilien en région ile de France.

 

Un passage en force

Il faut bien souligner que rien n’obligeait l’Etat français à s’attaquer au statut des cheminots, ce qu’il fit pourtant en mettant fin aux embauches sous statut dès le 1er janvier 2020.

De même rien ne contraignait les conseils régionaux à appliquer de suite les directives européennes de libéralisation. C’est pourtant ce que firent plusieurs régions, fortes de la possibilité, qu’elles ont désormais depuis décembre 2019, d’attribuer l’exploitation de leur réseau ferroviaire à d’autres opérateurs que la SNCF.

La région PACA vote ainsi sans tarder, en décembre 2019, le principe d’une délégation de service public pour la ligne emblématique Marseille-Nice. Son président de droite, Renaud Muselier, reprochait à la SNCF sa « mauvais productivité ». Cela prenait les accents d’une véritable punition infligée à l’opérateur historique.

Quant à la région Grand-Est, elle aussi à la pointe de la libéralisation, son président naïvement ou coupablement, se plaisait à parier sur une économie de 30% des frais de fonctionnement.

 Le cas de la région Bourgogne Franche Comté

Un cas en effet puisque ce fut la première région de « gauche » à vouloir ouvrir son réseau de TER (trans-express régional) à la concurrence. L’ensemble de ses 17 lignes qui représentent 1951 kms au total seront donc soumis à appel d’offre mettant de fait l’opérateur historique, la SNCF, en difficulté. Le droit européen implique que soit mis en concurrence l’ensemble du réseau au travers d’un seul contrat (à la différence des lignes TGV qui peuvent se négocier ligne par ligne.)

La région BFC, qui s’est donc prononcée (le parti communiste et le rassemblement national avait voté contre) pour une libéralisation du rail sur tout son territoire pouvait tout aussi bien signer avec la seule SNCF avant le 25 décembre 2023 pour une durée de dix ans ce qui prolongeait le contrat avec l’opérateur historique jusqu’en 2033.

Pour l’heure, les agents de la SNCF restent dans une incertitude quant à l’évolution de leurs carrières. Et surtout ils s’interrogent sur la perte de sens de leurs métiers ainsi que sur la marche de leur entreprise publique au service d’usagers qui eux-mêmes bien souvent ne s’y retrouvent plus.

Bien sûr les organisations syndicales, et en particulier la CGT, se sont élevées contre ce passage en force de la région BFC. A sa tête une présidente appartenant au parti socialiste mais qui  aura choisi E. Macron dès le départ pour ensuite soutenir des candidats de la NUPES aux législatives de 2022.

Ce confusionnisme politique n’est pas tout à fait le fruit du hasard, il épouse ou fait craindre une absence de sérieux politique quant à l’avenir du rail. La bonne gestion de celui-ci commanderait pourtant, dans l’intérêt général, plus de stabilité et davantage de sérénité.

On sait que le secteur du  transport (y compris le fret) représente une part importante dans l’émission de CO2 (plus de 33% en France). La route en représente plus de 80%, suivie du transport aérien avec 15%, et du ferroviaire avec seulement 2%.

C’est dire l’enjeu stratégique du rail en matière de transition énergétique. La France en la matière semble vouloir rattraper son « retard » mais à l’envers du progrès contrairement à des pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou l’Italie qui reviennent, forts de l’expérience,  à des gestions plus transparentes et davantage maîtrisées des transports collectifs.

Notre pays semble plus que jamais au cœur d’une course effrénée vers une dérégulation qui ne mène à rien d’autre qu’à un sous-investissement des réseaux ferrés, et qui donc  empêchent une stratégie de développement du rail. Il est temps de remettre en cause cette politique même si la Commission Européenne, appuyée voire instiguée par un gouvernement français complice, exige de rester maîtresse du jeu en faisant valoir coûte que coûte, d’une manière peu démocratique, une doctrine néo-libérale incapable de répondre à l’exigence d’une transition écologique harmonieuse et efficace.

JMarc Gardère


NB : article publié dans Démocratie et Socialisme n° 297 de septembre 2002