Tout le monde ou presque, aura
été sidéré par la décision de Poutine d’envahir l’Ukraine dont le peuple pourtant
est si proche du peuple russe. Il est vrai que tout le monde ou presque aura été
endormi croyant qu’il n’y aurait plus possibilité d’une guerre à la papa, avec
des chars, des avions, des missiles, de
l’artillerie conventionnelle, toute une « esthétique » par-delà le
bien et le mal sortie d’images vues et revues de la deuxième guerre mondiale.
On pensait même, se fondant dans
une espèce de foi pour le progrès, que les batailles désormais se joueraient
par ordinateurs interposés, rendant virtuelles, par miracle numérique, toutes les
souffrances, civiles ou militaires. Pas tout à fait la guerre en dentelles mais,
quand même, une guerre aseptisée, modernisée, ce modernisme relevant, en
l’occurrence, de cette disposition d’esprit qui empêche au fond d’avoir une
vision tragique de l’histoire.
Les Américains dans leurs guerres
du Golfe n’avaient-ils pas donné le ton lorsqu’ils eurent envahi l’Irak tout en nous
abreuvant de ces « frappes chirurgicales » qui prétendument
épargnaient les populations civiles ? Ce n’étaient que des images mais qui
cachaient habilement la souffrance et la mort.
Côté russe il y eut la
Tchétchénie et la destruction de Grozny, et plus récemment la Syrie dans un
même sillon belliqueux comme pour répondre à l’intervention occidentale en
Lybie, avec ce même cortège de morts, de blessés, de souffrance. Mais c’était loin,
si loin que ces conflits-là n’avaient pas l’air de nous concerner. Les réfugiés
n’avaient même pas l’honneur d’être de véritables réfugiés mais simplement des migrants
qui selon les droites extrêmes entendaient nous voler nos richesses et
affaiblir notre si précieuse culture dans l’optique d’un « grand remplacement »
définitif. Deux poids deux mesures donc alors que ces guerres étaient si
semblables avec ses lots de violences absolues menaçant à mort l’espèce
humaine.
Notre capacité de compréhension
est largement entamée par une propagande venue des deux côtés mais aussi par
notre paresse à ne pas vouloir comprendre les enjeux géo-politiques.
Car ce n’est pas la fin de
l’histoire, elle continue sous nos yeux, écrite par des Empires qui n’ont pas
disparu et qui au contraire affirment leur existence par la violence faite aux
autres. Poutine n’en a pas terminé dans sa quête d’une grande Russie
impérialiste qui retrouve les frontières de l’URSS dont il disait que l’effondrement
avait été « la plus grande catastrophe géopolitique du vingtième
siècle ».
C’est au vacarme qu’elles
produisent qu’on reconnait les guerres mais comme nous ne l’entendons pas, ne
serait-ce que par la distance ou l’angoisse que « cela » nous arrive,
nous laissons aux Ukrainiens le soin de mener et supporter la leur. Nous ne
pouvons leur offrir que notre compassion, ou au mieux notre solidarité. Celle-ci
a tant de mal à se convertir en acte qu’on serait tenté de dire qu’elle ne sert
qu’à pacifier notre conscience.
L’enjeu est si fort, la menace
est si grande que les hésitations du camp occidental ne sont pas illégitimes.
Il ne faut pas mésestimer la puissance qui se tient en face, où l’émotionnel nationaliste
savamment et puissamment distillé le dispute à la folie d’un seul.
Le nationalisme russe se nourrit
d’une situation géopolitique où l’impérialisme occidental s’est aventuré à
l’extrême limite des frontières de la Russie actuelle. L’occident, et les
Etats-Unis en premier lieu sur lesquels paresseusement nous nous sommes
alignés, n’ont pas voulu mesurer toute la portée historique de la chute du mur
de Berlin.
La dislocation de l’URSS qui s’en
est suivie n’était pas le signe d’une illusoire fin de l’histoire mais bien l’avènement
d’une nouvelle alliance entre un impérialisme ancestral et un capitalisme
débridé.
Le camp occidental a fait
l’erreur de méconnaître l’histoire longue de la Russie tout comme Poutine aujourd’hui
fait l’erreur criminelle de nier l’existence du peuple ukrainien dans ses
dimensions patriotiques ou démocratiques. La montée et la prise effective de pouvoir
par Poutine n’est pas due au hasard, elle est le produit de rivalités
impérialistes qui demeurent.
A nous donc de comprendre, pour tenter
d’éviter le pire. Les sanctions contre la Russie risquent d’alimenter un nationalisme
mortel. Et pourtant, il faut bien agir et montrer à Poutine qu’il ne peut aller
plus loin. C’est aux Ukrainiens d’abord de relever ce défi tragique. Ils y
parviennent dans un héroïsme étonnant et admirable. Il faut les y aider mais sans
pour autant couper le dialogue avec les Russes. Poutine ne comprend que le
rapport de force, c’est une évidence mais on ne peut couper les canaux
diplomatiques avec une puissance disposée, comme l’a menacé l’homme fort du
Kremlin, à dégainer le feu nucléaire. Le fait même d’évoquer cette éventualité
participe à rendre plus grand encore le risque.
Il faut exploiter ce qui
ressemble sur le terrain à un début de défaite, les troupes de Poutine semblent
douter, jusqu’à peut-être la limite de l’enlisement, dépassées par la
détermination des citoyens ukrainiens. Raison
supplémentaire dans ce contexte de privilégier la voie diplomatique. Car
pendant ce temps, et c’est la stratégie de Poutine, des villes sont rasées dans
une escalade militaire qui se fait au rythme de l’intensité de la résistance. La diplomatie est plus que jamais un impératif
pour épargner des souffrances et des vies.
Les salariés en France, comme
dans l’ensemble de l’Europe n’ont aucun intérêt à ce que cette guerre perdure
et s’intensifie. L’impératif de la paix n’est pas discutable. Pour cela la
mobilisation massive des peuples doit imposer la paix.
Outre l’accueil des réfugiés, c’est
ce à quoi nous devons aussi nous attacher.
Jean-Marc Gardère