mercredi 20 mai 2020

Comment (se) payer la tête des héros

Le gouvernement a donc consenti à ce qu'une prime exceptionnelle soit versée aux personnels soignants pour les remercier de leur mobilisation sans faille lors de la crise sanitaire. Elle irait de 300 à 1000 euros, voire plus,  des écarts importants selon les hôpitaux, les fonctions exercées, selon qu'on soit médecins, infirmières, aide soignants, selon les régions...Et pas selon le temps qu'il fait ?

Outre celles dont bénéficieraient certains salariés du privé, tout aussi aléatoires, au bon vouloir de leur patron, des primes seraient également versée aux personnels des collectivités territoriales en lien direct avec le public ou lors d'activités susceptibles de les avoir mis en contact avec le Coronavirus. On parle même de primer certains enseignants, ceux en particulier qui se seraient occupés, pendant la crise, des enfants des soignants. 

Une prime est toujours bonne à prendre. Et on la prend, surtout lorsqu'on perçoit un petit salaire. Mais elle cache la misère et révèle les insuffisances voire les arrière-pensée d'un pouvoir qui n'ose avouer "en même temps" d'autres buts que ceux d'améliorer le sort des personnels.

Ces primes risquent de créer de nouvelles injustices, de nouvelles iniquités dans une opacité pas moins épaisse que celle que vit aujourd'hui l'ensemble des agents faisant fonctionner les services publics.
Ces primes s'apparentent davantage à des actes charitables au plus mauvais sens du terme, loin de la solidarité qui devrait, pour être efficace, se fonder sur une réelle et authentique politique de rémunération élaborée de concert avec les personnels concernés et leurs organisations syndicales.

En outre, dans la mesure où elles sont le plus souvent exonérées de cotisations sociales, elles réduisent le salaire brut  et entravent le financement de la sécurité sociale laquelle alimente les ressources de l'hôpital public. La boucle infernale austéritaire est bouclée !

Charitables ces primes, comme ces médailles que le pouvoir avait eu l'idée surannée et surréaliste de décerner à ceux qui méritaient la reconnaissance éternelle de la nation.
On passe sur ce ramassis de députés LREM, ravis de la crèche, emportés par un élan d'autant plus irrésistible qu'il doit venir des autres, et surtout pas d'eux-mêmes, ces députés qui proposaient que les salariés puissent faire don de leur congés aux personnels soignants. 

Cela en dit long sur un pouvoir déjanté qui n'imagine pas que les gens exerce leur métier d'abord par conscience professionnelle, et que leur revendication porte avant tout sur des moyens et des effectifs en nombre suffisant, ou sur une reconnaissance qui se traduise par des hausses pérennes de rémunération, et non pas par des breloques ou de la générosité déplacée.

N'est-ce pas là mépriser tous ces salariés ou ces agents qui ont le sens du service public ? Le sens de l'intérêt général manque au gouvernement attaché plutôt aux valeurs incertaines d'une "start-up nation" qui  n'a  su montrer aucune efficacité face à la crise sanitaire.

Question des rémunérations, le gouvernement a déjà les outils pour remédier à une situation qu'il a lui-même créé, il suffirait, s'agissant des fonctions publiques, de revaloriser comme il se doit le point d'indice qui permet que les traitements ou salaires suivent le coût de la vie.
Ainsi depuis juillet 2010 la perte de pouvoir d'achat du point d'indice  par rapport à l'indice des prix à la consommation est de l'ordre de 8,50%. Pour une infirmière par exemple cela représente une perte moyenne de 200 euros par mois.
Les pertes cumulées depuis 10 ans pour un salaire moyen de la fonction publique s'élèvent à 6000 euros environ. On est donc très loin de ces primes octroyées par le gouvernement Macron. On ne s'étonnera donc plus que la France se situe si mal au classement mondial pour les rémunérations des personnels soignants.

Mais il y a plus grave encore. La question qui se pose à la fonction publique hospitalière se pose à l'ensemble de la fonction publique. Le gouvernement, en privilégiant des primes aléatoires plutôt que des revalorisations pérennes des salaires ou des carrières, ne poursuit-il pas l'affaiblissement de la fonction publique, préalable à une stratégie de dépérissement de l'Etat dont nous voyons les ravages tous les jours, notamment en matière d'aménagement du territoire ?

S'agissant du secteur privé la problématique n'est pas bien différente, le mépris est le même avec la complicité d'organisations patronales incapables de voir à quel point leur propre intérêt pourtant se conjugue avec celui de leurs salariés.
L'urgence serait pourtant de revaloriser le Smic en le portant à 1800 euros brut de manière à rattraper ici aussi une perte de pouvoir d'achat préjudiciable à une reprise économique harmonieuse et égalitaire.

Il est temps que le pouvoir prenne la mesure de la crise et que le monde d'après, comme on dit, ne soit pire qu'aujourd'hui.

JMG





jeudi 7 mai 2020

Surveiller ou punir, ou les deux

Georges Orwell*, dans son livre autobiographique "Dans la dèche à Paris et à Londres", décrit la façon dont était traités les vagabonds, qu'on appelait aussi les chemineaux, dans l'Angleterre des lendemains de la guerre 14-18 puis au cours des années vingt et trente du siècle dernier.

Sans domicile fixe, sans travail, ces hommes ou ces femmes étaient condamnés éternellement à faire le tour du pays cheminant ainsi de gîte en gîte. Le temps de ces séjours y était limité, il fallait éviter que ces vagabonds, pour des raisons sanitaires ou sociales, s'incrustent où que ce soit.

Les chemineaux étaient donc tenus d'errer d'asile en asile. Vagabonds par obligation dans un circuit infernal, ils étaient encadrés par les employés de ces asiles et surveillés par la police, de façon quasi-captive, bien que toujours en mouvement sur les routes.
Ainsi le pouvoir les enfermait dans cette course sans fin. Ils ne pouvaient en sortir que s'ils retrouvaient enfin un travail qui puisse les remettre cette fois dans le circuit productif exigé par la société industrielle et capitaliste.

Les temps ont changé. Mais nous sommes nous aussi surveillés. Faute de vigilance collective cette surveillance pourra finir de nous dévorer, favorisée voire sanctifiée par cette autre exigence ré-apparue récemment, tout aussi brutale, l'exigence sanitaire.

Ainsi des drones ont pris l'air pour surveiller les sentiers de randonnée, des drones gendarmes  pour vérifier que personne ne commettre le crime de longer les rives du Lac des Rousses dans le Haut-Jura.
On a même vu des hélicoptères, sur la côte Atlantique, survoler des passants pour leur commander de quitter des plages sur lesquelles ils se promenaient. Le ridicule, même héliporté et dispendieux, ne tue pas. Les velléités de contrôle des populations sont toujours aussi vives de la part de tout Pouvoir et du nôtre en particulier.

C'est pourquoi il faut saluer à cet égard les actes de résistance, encore trop rares, contre cette société de surveillance qu'on voudrait plus ou moins discrètement nous imposer.

Comparaison n'est pas raison, nous ne sommes plus au siècle dernier ni même encore en "1984", et pourtant...A Lons-le-Saunier, zone rouge de l'audace en la matière, le Maire de la ville qui ne parvient pas à quitter son fauteuil de maire depuis déjà quelques mandats, tient lui aussi à son projet de télésurveillance.
En février dernier le conseil municipal votait donc sans trop de problèmes, dans un élan majoritaire absolu dont notre démocratie française a le secret, une convention entre l'Etat et la ville pour la mise en place de cette vidéo-protection.
Comme si à Lons-le-Saunier la violence à feu et à sang se rencontrait à tout bout de rue. Comme si il n'y avait d'autre solution qu'une surveillance inefficace pour imposer une paix civile qui d'ailleurs ne fut jamais réellement menacée.

Il est heureux que Julien Da Rocha, citoyen de la ville, technicien forestier de son état, "gilet jaune" d'où ses quelques ennuis, conteste ladite délibération pour la raison que cette décision n'avait pas été précédée d'une étude d'impact qui concerne la protection des données personnelles.
Bien que tout à fait justifié, ce recours a valu à son auteur de se faire traiter de "délinquant" par le Préfet**, celui-ci oubliant la neutralité qui l'oblige en tant que représentant de l'Etat dans le département.

Le moyen de droit invoqué devrait aboutir au retrait de ladite délibération. Cette lutte doit être saluée en défense des droits et liberté des personnes et des citoyens que nous sommes.
Ces droits sont aujourd'hui trop souvent bafoués au nom d'une sécurité qui s'avère n'être qu'une chimère.


JMG

* l'auteur de 1984, c'est bien le même
** La Voix du Jura en date du 30 avril dernier