samedi 30 septembre 2023

Rupture numérique, ou fracture sociale et citoyenne ?

Le numérique ne fait pas que des heureux, loin s’en faut, il est même facteur de distorsion sociale, de discrimination par le savoir ou le savoir-faire informatiques, et par un traitement inégal des territoires  en matière d’infrastructures. Et la fracture, loin de se résorber, parait s’aggraver encore…Nos gouvernants ne montrent aucun empressement à régler le problème ; ou seulement avec le secours du temps puisqu’à court ou moyen terme les principaux concernés (ceux qu’on appelle les séniors) finissent toujours par disparaître. Le cynisme en la matière, même involontaire, peut aussi passer par là.

En 2018, 27% des soixante et plus n‘avaient pas d’Internet. C’est énorme, et particulièrement sensible dans un contexte de disparition des services publics de proximité. Car en effet la fracture numérique s’accompagne de la disparition des services publics dans les territoires abandonnés par la République (comme on dit).

Une certaine élite fait encore semblant de croire que le numérique sera le « Deus ex machina » des carences ou des désengagements de l’Etat, qu’il prendra la forme d’un succédané de l’action publique et de la solidarité nationale,  qu’il se transformera en petite souris républicaine chargée d’infuser partout sa présence, en lieu et place d’une fonction publique qu’on aura fini, délibérément, par mettre hors d’état de servir.

Cette fracture numérique quelle est-elle ? De quoi, de qui, est-elle le nom ? N’est-elle pas au fond le pendant d’une fracture sociale ou bien, tout aussi grave, la cause ou les effets d’une fracture citoyenne ? Ainsi fabrique-t-on des sous-citoyens dans l’incapacité désormais de participer à la vie de la cité dans ce qu’elle a de plus banal et élémentaire  comme par exemple déclarer ses impôts. On a vu tout dernièrement des queues interminables de gens devant les services fiscaux pour remplir convenablement leur déclaration de revenus, des jeunes, comme de plus âgés, cherchant l’aide ou les conseils d’agents de service publics débordés. Servitude volontaire ? De la ténacité en tout cas, ou de l’obstination pour exercer ses devoirs de citoyen ! L’Etat devrait en être reconnaissant, mais notre gouvernement semble-t-il n’en a cure, les gens devront bien se débrouiller.

 On estime à 12% le taux de la population française en manque d’équipements informatiques, et à plus de 45 % en défaut de connaissances de base sans lesquelles le « tout-numérique » se transforme en chemin de croix.

Dans le même temps l’accès aux services publics est rendu de plus en plus difficile. Par exemple 7500 bureaux de poste ont encore disparu en 2020 (9500 en 2015) ; situation analogue pour les services fiscaux, ou ceux du Trésor, ou les caisses primaires d’assurance maladie… Pourtant le gouvernement reconnaissait que sur les 14 millions de Français en difficulté devant l’informatique, « 6 à 7 millions ne seraient jamais autonomes. » Un certain cynisme là encore, intolérable au regard de la continuité et de l’égal accès aux services publics lesquels dès lors ne sont plus garantis.

Usagers-citoyens

Ainsi, au plus près des territoires, 75 000 communes en 2020 n’avaient toujours pas d’Internet qui fût fiable ou suffisamment rapide. Comment dès lors, dans ce contexte de fragilisation, assurer un service crédible et accessible en l’absence de services publics dignes de ce nom  et à la hauteur des besoins et des demandes de la population ?

Ces services publics désormais, l’Etat ayant abandonné le terrain, ont pris des formes nouvelles et sont principalement assurés par les collectivités locales au travers notamment les espaces « France service ».  Ces structures n’ont pas, loin de là, la puissance et l’efficacité de services publics adaptés munis de moyens suffisants de fonctionnement, cela dans l’intérêt de la population des territoires « périphériques », urbains ou suburbains.

Défendant au fond une société plutôt individualiste,  le gouvernement entend bien continuer sa politique de dématérialisation en omettant de considérer et de régler les problèmes collatéraux posés aux usagers-citoyens.

Le Conseil économique et social, dans son dernier avis sur le sujet, revendique le droit au refus numérique. Ainsi le pouvoir en place serait moins tenté de se servir du « tout numérique » comme alibi pour délaisser les services publics dans ces territoires.

Par ailleurs l’usage de l’informatique commande de la part des utilisateurs des connaissances et une adaptation continuelle dont beaucoup ne peuvent se prévaloir. On observe que nombreux sont ceux qui abandonnent des procédures administratives pour cette raison-là, et délaissent des droits susceptibles de faciliter leur réinsertion.   

S’agissant des infrastructures, le pouvoir est tenté par une couverture inégale : un débit qualifié de « bon débit » à savoir  8 mégabits/seconde seraient suffisants pour les territoires périphériques, comparés au 30 mégabits/seconde réservés à des territoires réputés prometteurs et porteurs d’avenir, qui reçoivent toutes les faveurs et les aides du pouvoir.

C’est pourquoi il s’agirait d’éviter cette autre rupture  territoriale. Il est crucial de veiller à une couverture égale sur la totalité du territoire préservant l’égal accès  à Internet. Ce domaine, comme tant d’autres, doit impérativement être épargné par une rentabilité financière à court terme. Internet est un bien commun et devrait être géré démocratiquement, dans l’intérêt général.

Il en va d’un aménagement du territoire qui se doit d’être harmonieux et égalitaire. Il y a lieu de prioriser le traitement des zones blanches pour ne laisser personne ni aucun territoire à l’écart d’une technologie qui peut, malgré les réserves qui ont été brièvement présentées ici, contribuer au lien social.

Notons enfin que ce qu’on nomme l’illectronisme se fonde sur un illettrisme qui reste pandémique dans notre pays.

Le plus important aujourd’hui, le plus crucial, le plus urgent, est bien de garantir à tous une possibilité de saisir l’administration autrement que par le numérique, de permettre à tous l’utilisation des moyens classiques tels que le courrier postal, le téléphone et bien entendu l’accueil physique.

Se pose, plus que jamais, en même temps que les évolutions technologiques, l’ardente nécessité de réinstaurer l’humain au cœur  de la question.

JMG  

lundi 18 septembre 2023

Lois de finances 2024 : danger

Emmanuel Macron et ses soutiens, oligarques, mais aussi ses parlementaires « playmobil », ou membres de la droite élargie qui ne voit que ses propres intérêts, tel Eric Woerth ancien ministre du budget ayant trouvé là une ultime occasion d’exister politiquement, tous ces gens collaborent à saper les institutions sur lesquelles sont bâties les solidarités nationales susceptibles pourtant d’assurer une cohésion sociale nécessaire à la démocratie. Y sont-ils d’ailleurs attachés à cette démocratie alors qu’ils pourfendent ainsi l’Etat Social ?

C’est donc autour de ce risque a-démocratique que le travail souterrain se poursuit dans le plus grand mépris de l’intérêt général et contre une classe, celle des salariés, qui ne sait plus comment riposter, soit par découragement, soit aveuglée et trompée par une propagande gouvernementale, diviseuse et sournoise, alimentée par le caractère soit disant incontournable d’une « dette » sacro-sainte.

Se préparent actuellement, en cet été porteur de toutes les angoisses, dans la moiteur des cabinets ministériels, plus singulièrement à Bercy, les projets de loi de finance de la sécurité sociale comme celui de l’Etat.

Et comme toujours les conséquences sont concrètes même si, pour faciliter leur acceptation par la population, ces mesures peuvent être distillées à doses homéopathiques, mais, et c’est là que le bât blesse, depuis plusieurs années maintenant. On pourra toujours considérer que 50 cts d’euro de reste à charge pour un médicament est une somme modique et doubler cette somme ne portera pas à conséquences. Mais avec les années et les réformes successives il n’en reste pas moins que le taux de couverture de la sécu n’est plus aujourd’hui que de 50% en moyenne.

L’année 2024 verrait la franchise médicale ainsi que la  participation forfaitaire doubler sous le prétexte qu’il faut « sauver » la sécurité sociale insinuant par la même occasion l’irresponsabilité de l’ensemble des assurés sociaux. Cette franchise concernerait aussi le paramédical. Ce genre de mesures sera sensible pour les plus modestes lesquels de plus en plus renoncent aux soins (près de 27% des assurés sociaux.)

Elles s’ajoutent aux déremboursements des frais de transports médicaux qui passent de 65 à 55% après ceux encore plus significatifs des soins dentaires qui passeront à partir du premier octobre de 70 à 60% (décision qui date de juin dernier et qui est passé sous forte chaleur comme une lettre à la poste). Les premières victimes sont ceux des assurés sociaux qui ne pourront se payer une bonne mutuelle. Les complémentaires-santé devront compenser par une prise en charge globale de 500 millions d’euros annuellement. Elles devront en conséquence augmenter leurs cotisations. C’est encore une pierre supplémentaire apportée à la privatisation rampante de la « sécu » amplifiant les inégalités devant la santé.

Les mesures proposées pour l’année prochaine permettraient au gouvernement d’économiser 1,3 milliards d’économies. Mais le gouvernement Macron entend également poursuivre sa politique de lutte contre la fraude sociale (27% de l’objectif global aux dires du gouvernement). Les arrêts-maladies seront pour leur part l’objet de contrôles renforcés comme pour culpabiliser plus encore les praticiens et les patients.

Or, on sait bien que la question du financement de la sécu et de son déficit supposé proviennent d’abord d’un problème de recettes qui d’année en année s’amenuisent sous les coups de butoir d’une politique de l’offre, foncièrement néo-libérale, décomplexée.

En dix ans, entre 2012 et 2022, le montant des exonérations de cotisations sociales, de moins en moins ciblées, a été multiplié par 2,8 grossissant ainsi les aides publiques aux entreprises les plus grandes, sans contrepartie. Cela concourt à l’affaiblissement de la sécurité sociale et se traduit par des déremboursements touchant de façon inégalitaire les couches les plus démunies de la population.

Et le budget de l’Etat…

Côté budget de l’Etat au sens strict le ministre Bruno Lemaire  entend faire des économies à hauteur de 15  milliards d’euros. Rappelons que ces économies se justifient, aux dires du gouvernement, pour courir après une dette qui se monte désormais à 3000 milliards d’euros. Cela prêterait à rire si ces coupes budgétaires n’étaient sans conséquences sur le plan social et se traduisait par une baisse de 6% des budgets consacrés aux services publics dont ceux touchant les hôpitaux dont on sait qu’ils sont aujourd’hui à la limite d’une rupture mortifère.

Les aides à l’apprentissage seraient également touchées tout comme est annoncée la fin des boucliers tarifaires laissant présager une envolée des factures d’électricité et de gaz.

Les aides au logement seront aussi impactées à la baisse par le biais notamment d’une refonte du Prêt à Taux Zéro (PTZ).

Quant aux collectivités locales, elles sont aimablement appelées à un effort de « modération de la défense publique ». Certains élus locaux ne cachent pas leur inquiétude quant à une possible baisse de la Dotation Globale de fonctionnement qui de toute façon aura peine à suivre l’inflation.

Les dépenses sont contenues à l’excès pour faire plaisir à Bruxelles mais aussi à la « finance » dont E.Macron reste le grand ami. Tant et si bien d’ailleurs que les vaches sacrés de la politique fiscale de notre président ne sont nullement remises en cause. Ainsi le gouvernement ne veut-il  pas entendre parler du relèvement du taux de prélèvement forfaitaire unique (la fameuse « flat tax » importé du monde anglo-saxon) que le Modem lui-même, pourtant dans le camp gouvernemental, avait proposé.

Oui, les vaches sont bien gardées au service des plus riches dans un pays où nos 43 milliardaires ont vu leurs revenus augmenter de plus de 20 % en une année seulement (depuis2022).

Nous n’arriverons à sortir de l’impasse que dans l’unité retrouvée d’une gauche qui se rassemble autour d’un projet à la fois réaliste et ambitieux. La balle est dans le camp d’une gauche qui n’aura pas renoncé à sa mission.

JMG


article paru dans le numéro 307 de Démocratie et Socialisme