samedi 17 février 2024

Guerre, et autres affaires intérieures

 Tolstoï pensait que les gouvernants d’un pays, a fortiori s’agissant de gouvernements autocratiques, entretenaient leur armée non pas pour se protéger des ennemis de l’extérieur, ou pour protéger leurs frontières, mais bien  pour se garder de leur propre peuple, potentiellement  coupable et susceptible à leur yeux de déstabiliser leur pouvoir.

Comparaison n’est pas raison mais on pourrait appliquer cette réflexion à la Russie de Poutine, à la Corée du Nord de Kim-Jong Un ou bien à l’Etat d’Israël de Netanyahu. Le but de chacun de ces chefs d’Etat est prioritairement de rester au pouvoir, le reste vient après, comme être au service de leur peuple, tant il est vrai que cette dernière exigence est à géométrie variable, à la merci d’une analyse politique autocentrée sur l’exercice d’un pouvoir sans partage.

Montrer ses forces à l’extérieur est une façon de les montrer aussi, et surtout, à l’intérieur. Et faire donner la guerre, la donner comme unique horizon au travers d’une course à l’armement inéluctablement mortifère, est une bonne manière de se détourner des problèmes domestiques. Ce n’est peut-être pas vieux comme le monde mais au moins aussi ancien que les nations qui le composent.

Le cas d’Israël reste cependant le plus singulier en cela qu’il se fait passer, du moins dans l’esprit occidental,  pour « démocratique ». L’Etat d’Israël figure, aux yeux des principaux media adepte de la pensée binaire, dans le camp des « bons » plutôt que celui des « méchants ». Ce n’est donc pas un Etat que l’on a coutume de qualifier de terroriste. On peut dire malgré tout, qu’en matière de terreur ou de mort, il excelle si l’on en croit les bilans des offensives terrestres et aériennes de l’armée israélienne dans la bande de Gaza.

La violence n’est pas d’un seul camp, loin s’en faut, elle est même  disproportionnée : sans vouloir verser dans les juxtapositions funestes, le rapport aura été d’un mort israélien  pour plus de 20 palestiniens.

Les événements du 7 octobre, parce qu’ils furent abominables, auront donc donné le signal d’autres exactions, tout aussi impardonnables, sous le couvert de l’autorisation donnée à Israël de « se défendre » ; ce qui dans les faits signifiait la permission de frapper, à l’aveugle et à profusion, les populations palestiniennes.

Vous avez dit «démocratique » ?

Ce type de démocratie est en tout cas est bien malade. Démocratique, vraiment, un Etat qui réprime  les manifestations demandant des négociations pour la libération des otages, et ainsi les vouer fatalement à l’échec ? Netanyahu sur ce plan reste intransigeant, ne rien vouloir négocier alimente la spirale terroriste, celle qui est susceptible de le servir. La guerre contre le Hamas pour être légitime ne l’est pas lorsqu’il s’agit de contenir ou de nier les aspirations ou l’existence même des populations civiles quelles qu’elles soient.

Pourtant, et c’est sur quoi compte le leader israélien, cette guerre est dans le même temps, de nature à calmer les ardeurs de ses opposants. Le premier ministre Netanyahu, chef de l’extrême- droite, est accusé de corruption. Tant que la guerre fait rage la mise en cause de l’actuel premier ministre est en quelque sorte refroidie même si, malgré le cours de la guerre, son procès a pu reprendre formellement en novembre dernier mais au travers, guerre oblige, d’une réduction de l’activité judiciaire.

Plus grave encore, car il s’agirait là de la mise à mort de l’Etat de droit, le premier ministre israélien persiste dans sa volonté de mettre un terme à la séparation des pouvoirs. Cette réforme impopulaire, mais appuyée par l’extrême droite et par les religieux suprématistes, doit permettre l’introduction d’une clause dérogatoire permettant au Parlement d’annuler à la majorité simple  les décisions de la Cour Suprême. Cela constitue une remise en cause sans précédent d’un principe fondateur, s’il en est, de nos démocraties.

La guerre comme entrave naturelle à la démocratie

Le 7 octobre constitue-t-il vraiment le début de cette « guerre » ? N’est-elle pas qu’une étape, décisive certes mais parmi d’autres crimes de guerre insupportables instrumentalisés pour relancer vengeance et folies meurtrières. Les massacres du 7 octobre ne peuvent être considérés seulement en eux-mêmes mais comme la conséquence d’une guerre chronique dont les violences extrêmes réduisent d’année en année les espoirs de paix. Le 7 octobre vient après des centaines d’assassinats perpétrés à l’intérieur même de la bande de Gaza, y compris commis par les services secrets israéliens ou l’armée. En Cisjordanie les colons israéliens se livrent eux aussi à des crimes contre les Palestiniens dont on veut s’accaparer les terres.

Les colons bénéficient du soutien  des partis d’extrême droite qui sont aujourd’hui au pouvoir en Israël. En Israël même on s’étonne que le Hamas ait pu militairement prendre le dessus le 7 octobre. Ainsi l’opposition à Netanyahu avance-t-elle que cette attaque a été facilitée par le transfert de troupes israéliennes en Cisjordanie, dégarnissant ainsi la frontière avec Gaza. Tout cela pour épauler les colons dans leur œuvre d’appropriation de terres et permettre la construction de milliers de nouveaux logements actant d’une colonisation que condamne pourtant le droit international.

Pour certains opposants toute la stratégie du Likoud et de l’alliance avec les suprématistes ou les ultranationalistes religieux auront été de favoriser l’existence du Hamas au détriment de l’Autorité Palestinienne. Cela afin de justifier une guerre permettant la persistance d’une théocratie extrémiste. En tout état de cause les services de renseignements israéliens se seront bien montrés incapables de prévenir une attaque qui aura, par multiplication de violences, instauré dans les esprits le caractère inéluctable d’une guerre séculaire et sans merci.

Reste à savoir maintenant comment réagira la démocratie israélienne ? Sera-t-elle capable de relever le défi d’une guerre qui par nature l’empêche de prospérer ? Le discours guerrier et la guerre elle-même profitent à l’actuel pouvoir israélien qui s’est adjoint le soutien des ultranationalistes tels que Besalel Smotrich, tenant d’un intégrisme religieux qui n’a rien à envier à celui du Hamas ; pouvoir encore soutenu par une extrême droite radicale personnalisée notamment par Itamar Ben Gvir poursuivi à ses heures lui aussi par la justice.

La seule solution du conflit réside dans une réappropriation du pouvoir par le peuple. Facile à dire certes, mais réappropriation rendue de plus en plus nécessaire pour échapper aux ultimes catastrophes dont nous-mêmes ne sortirions indemnes. Il faudrait pour cela respecter et imposer le droit international, rendre la démocratie à ceux qui la respectent. Refuser aux autocrates, quel que soit le camp auquel ils appartiennent, la possibilité de sévir à l’intérieur de leur pays, rendre le pouvoir aux parlements, et en définitive refuser la guerre comme unique solution aux conflits devenus ancestraux.

JMarc Gardère

article paru dans le numéro 312, février 2014 de Démocratie et Socialisme