dimanche 12 mars 2023

Homicides

 Un député de la Nupes, Aurélien Saintoul, membre de la France insoumise, c’était le  13 février dernier en plein débat parlementaire sur les retraites, traitait d’assassin Olivier Dussopt le ministre du travail. Ce dernier s’en était offusqué et avait demandé des excuses à l’intéressé qui dans la foulée s’était exécuté, sous la pression semble-t-il de son propre camp soucieux d’une crédibilité qu’il entendait ne pas perdre.

La question derrière la polémique

Le député Aurélien Saintoul soulignait que la contre-réforme des retraites, la énième du genre, ajoutée à la politique gouvernementale depuis 2017, se trouvaient en corrélation avec l’augmentation des victimes d’accidents du travail et de maladie professionnelle. On peut prendre le terme d’ « assassin » au premier degré comme l’ont fait, pour des raisons politiciennes, les députés macronistes.

L’attaque du député Saintoul était sérieuse, elle touchait à une réalité douloureuse,  la vie au travail elle-même dans ce qu’elle peut avoir de pénible ou parfois de mortel.

Aurélien Saintoul appuyait là où ça fait mal, soulignant l’augmentation des accidents mortels du travail depuis quelques années (de 550 cas en 2017 à 733 en 2019). Il y aurait en France, selon Eurostat, 3000 accidents du travail par an pour 100 000 salariés, plaçant notre pays parmi les plus exposés. L’assurance maladie a comptabilisé 645 morts au travail en 2021 pour 800 000 cas d’accidents du travail.

On note que les travailleurs intérimaires payent un plus lourd tribu que les permanents. Toutefois le nombre d’accidents, toujours selon l’assurance maladie, aurait accusé une baisse de près de 10% entre 2019 et 2021, baisse consécutive selon elle à de meilleures formations dispensées aux apprentis.

On compte deux fois plus d’accidents du travail chez les hommes que chez les femmes, les métiers exercés étant plus à risque pour les uns que pour les autres et parce qu’il apparait que les femmes apportent une plus grande attention aux respects des préventions.

On note également que la fréquence et la gravité des accidents augmente avec l’âge ce qui milite pour un âge de départ à la retraite moins avancée. La logique est implacablement d’actualité : plus tôt vous partez en retraite moins vous risquerez l’accident au travail.

Les secteurs les plus concernées sont par ordre d’importance le bâtiment, la logistique et l’agriculture en des lieux et conditions de travail multiples dans la nature des risques, (charges lourdes, travaux en hauteur, intempéries…)

Les milieux du BTP dévoilent une  sinistralité plus grande dans la mesure où les intervenants sont variés et qu’une multitude de petites entreprises sont susceptibles d’intervenir rendant d’autant plus difficile la diffusion des pratiques de prévention.

Sont également concernés, mais avec peut-être un peu moins d’intensité tous les métiers liés aux activités minières, aux travaux agricoles ou forestiers. L’éloignement de ces lieux de travail des centres de secours sont un facteur supplémentaire de risques.

Il en est un autre, plus global et plus structurel, lié à l’externalisation des tâches, opérée par les grandes entreprises ou les grands groupes industriels et commerciaux auprès d’entreprises sous-traitantes. Celles-ci sont rendues particulièrement vulnérables par le manque de culture de prévention des risques. D’autant plus que les instances représentatives de personnel sont ici beaucoup moins présentes pour organiser la prévention. L’exposition aux risques n’est pas compensée, comme c’est le cas des grandes entreprises, par un respect plus ordonné de mesures préventives visant à réduire les risques de maladie professionnelles ou d’accidents du travail.

Plus généralement il est à noter que les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont en progression importante depuis quelques années (gestes répétitifs ou vibrations par exemple par l’utilisation d’engins). Soulignons enfin l’importance et la persistance des risques psychosociaux consécutifs globalement à la désappropriation par les salariés des processus de production ; ou dus à un management très souvent inapproprié, déterminé par des exigences toujours plus grandes en productivité dans le contexte d’un capitalisme financier triomphant.

Un monde du travail fragilisé

C’est dire l’importance de dispositions législatives et réglementaires visant à protéger la santé comme la sécurité des salariés. En 1982 le Comité d’Hygiène et de sécurité devenait le CHSCT montrant l’attention portée (lois Auroux) par le gouvernement de l’époque aux conditions de travail. La mesure semblait révolutionnaire : le CHSCT s’affranchissait ainsi du comité d’entreprise dont la compétence se limitait à la dimension économique de l’entreprise.

Malheureusement et depuis le 1er janvier 2020 une nouvelle loi travail disposait de la suppression du CHSCT dans un but inavoué mais assez clair : fragiliser le contre-pouvoir syndical dans les entreprises en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. Tout cela dans le contexte d’une politique dite de l’offre traditionnellement attribuée à la droite mais menée par un Emmanuel Macron (succédant à Hollande), privilégiant la liberté des entreprises plutôt que les souhaits et les intérêts des salariés. Cela entre en résonnance avec une dévalorisation du travail passant par la diminution des moyens accordés à l’inspection du travail par exemple.

Ainsi sont supprimées les instances de représentation des salariés, comité d’entreprise, les délégués du personnel et CHSCT se transforment en une structure unique : le Comité Social et Economique (le CSE), le CHSCT se réduisant en une simple commission. La même chose devait s’appliquer dans l’ensemble des fonctions publiques.

Depuis une vingtaine d’années les Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail avaient fait leurs preuves pour compenser ou diminuer réellement les risques que subissent les salariés dans l’exercice de leurs métiers. En cela le CHSCT était respecté de l’ensemble du patronat. Son avatar, la commission Santé, Sécurité et Conditions de Travail (SSCT), ne pourra donc plus jouer pleinement le même rôle d’expertise : elle n’en aura plus les moyens répondant ainsi à une pression patronale exercée de longue date. Cela s’accompagne d’une diminution drastique du nombre d’heures de délégation des représentants du personnel.

Bien sûr les membres des gouvernements qui auront été à l’origine de la fragilisation des contre-pouvoirs en matière de conditions de travail ne sont pas pour autant des assassins. En cela le député Saintoul avait tort. Mais il avait raison en dénonçant des politiques publiques qui, ne prenant pas la juste mesure des choses en matière de droit du travail, peuvent conduire au pire.

 

JMG

article paru dans le n°303 mars 2023 de Démocratie et Socialisme

 

mercredi 1 mars 2023

Impuissance parlementaire

On a beaucoup dit que les députés de la Nupes, et plus encore parmi ceux de la France Insoumise, bloquaient le fonctionnement de l’Assemblée Nationale, et donc ne permettaient pas le débat sur la réforme des retraites. Il aurait fallu notamment que l’article 7 du projet, celui qui détermine l’âge légal de départ à la retraite, puisse être discuté sans l’obstruction parlementaire dont il aurait été l’objet. Et en effet le vote de cet article par la représentation nationale n’a pu avoir lieu au grand dam du gouvernement qui pensait ainsi écrire dans le marbre ce fameux âge de départ.

Les députés LFI ont multiplié les amendements voulant ainsi accompagner et soutenir le mouvement social mais avec, en quelque sorte, les armes de l’impuissance, les seules qui leur soient données. Même les organisations syndicales ont dans leur ensemble condamné les actions de ces députés. Et le Front National lui-même, un comble, a su tirer son épingle du jeu en faisant passer ses députés pour des sages de l’Assemblée.

La polémique ainsi crée, artificielle, ne sert donc pas la gauche. Elle la sert d’autant  moins  que les attaques les plus virulents sont réservées au groupe le plus important qui compose la Nupes.

Cela bien sûr ne manque pas de nourrir l’antiparlementarisme qui caractérise la vie politique française. Ce Président dédaigne de respecter la représentation nationale en se servant sans vergogne des outils que lui offre la Constitution de la Vème république.

La chienlit parlementaire, s’il en est, c’est lui. L’article 49-3 servis à toutes les sauces budgétaires, et au-delà, c’est lui ; l’article 47-1 qui permet de raccourcir encore plus le débat c’est encore lui qui l’utilise, même au risque de l’anticonstitutionnalité.

La Constitution de la Vème République c’est la cour des miracles de la démocratie ou de ce qu’il en reste, c’est la courte-échelle faite à E. Macron pour réaffirmer cyniquement son mépris du peuple.

Ce qui vient de se passer à l’Assemblée Nationale, ce prétendu foutoir parlementaire, ce tumulte qui peut sembler infantile et dont la droite, d’un extrême à l’autre en passant par le macronisme, aura fait ses choux gras, ne sont pas le fruit du hasard : mais bien plutôt la conséquence naturelle d’un régime constitutionnel qui laisse la part trop belle à l’exécutif même lorsque, et c’est le cas ici, ce dernier ne détient qu’une majorité relative (qui un temps a pu donner à certains des espérances déçues sur une lecture plus démocratique de la Constitution).

C’est pourquoi il convient de ne pas se tromper d’adversaire, de ne pas se donner plus de bâtons qu’il n’en faut pour se faire battre. L’assemblée Nationale est à l’image du pays, celle d’une France bloquée, bâillonnée, qui ne laisse rien passer d’une inspiration démocratique. C’est pourquoi pour l’heure la rue doit prendre le relais et le mouvement social rester vivace et combatif.

La victoire est incertaine mais c’est bien la seule solution donnée au monde du travail pour défendre pour le moins ce qu’il a de par son histoire durement conquis. Et donc il est impératif de préparer le 7 mars prochain dans l’unité la plus large possible.

En attendant une VIème République plus respectueuse de l’intérêt général.

JMG