samedi 30 mars 2024

Pour se sauver de la culture de la haine

Si la finance est le nerf de la guerre l’information est le nerf de la politique. Le 13 février dernier le Conseil d’Etat a sommé l’Arcom (Autorité de Régulation de la Communication audiovisuelle et numérique), l’ancêtre du CSA, de renforcer son contrôle sur la chaîne CNews. 

Cette décision est cruciale et historique. Le Conseil d’Etat juge que le contrôle de l’Arcom n’est ni suffisant ni à la hauteur de son rôle de régulation. Précisons que le Conseil d’Etat avait été saisi par RSF (reporters sans frontière, organisation non gouvernementale).

Cette ONG a obtenu gain de cause  sur le motif que l’ARCOM n’examinait pas le comportement de la chaîne dans sa globalité, et limitait son devoir de contrôle vis-à-vis de CNews au regard  de la neutralité et du pluralisme de l’information qui doivent être exercées par la chaîne. 

Cette décision, parce qu’elle parait à ses détracteurs difficile à appliquer, semble hésiter entre le jugement et l’avis. Mais il s’agit bien d’un jugement qui aura des conséquences juridiques (et politiques) majeures. 

La position du Conseil d’Etat n’aura pas manqué d’attirer le flot haineux des critiques, venant de CNews ou des droites sans complexe. La commission d’enquête parlementaire sur les fréquences de la TNT (télévision numérique terrestre) en mars est de nature également, on l’espère, à déceler des anomalies insupportables, en matière notamment d’indépendance de l’information dans une démocratie digne de ce nom. 

Gageons que cela mettra un terme à un laisser-aller « journalistique » sans entrave dont les éditorialistes de CNews, sous prétexte de liberté d’expression, usent et abusent. Il n’est qu’à voir la composition des plateaux de CNews pour se rendre compte que l’information est bafouée au profit d’opinions à sens unique. Selon une enquête de RSF seulement 13%  du temps d’antenne sur CNews sont consacrés à l’information.

Parfois les débats qui se déroulent sur les plateaux télévisés, pour prendre les apparences d’une plus grande crédibilité, s’embarrassent de cautions empruntées à la « gauche » comme la participation de Julien Dray par exemple, ou celle encore d’Olivier Dartigolles (dont on se demande s’il appartient toujours au PC). 

Il n’empêche  que les opinions proférées prennent souvent pour base les thèmes de l’immigration et de la sécurité qui constituent depuis des lustres les chevaux de bataille de la droite, « extrême » ou pas.  On passe sur les considérations peu amènes, ou les attaques directes en direction des représentants de la gauche avec une mention particulière contre la France Insoumise parée sans nuance aucune de toutes les abjections.

Pluralisme externe et pluralisme interne

La loi du 30 septembre 1986 veille au principe de pluralisme et d’indépendance des media. Cnews, comme C8, comme Europe 1 appartiennent majoritairement à ce néo-conservateur à la française qu’est Vincent Bolloré. 

Cette concentration singulière de media audio-visuels fait obstacle au pluralisme et à l’indépendance journalistiques dont l’Arcom doit être le garant. 

Christophe Deloire secrétaire général de Reporters sans Frontières tient à la distinction d’un pluralisme externe attaché à la presse écrite à l’opposé d’un pluralisme interne lié à la presse audio-visuelle. Le pluralisme dans la presse écrite tient à la multiplicité des supports autorisant dès lors la diversité des opinions ; à la différence de la presse audio-visuelle qui, de par la limitation naturelle des canaux hertziens, se voit contrainte, y compris en Droit désormais avec la décision du Conseil d’Etat, de respecter le pluralisme équitable des opinions, sans prendre en compte de manière exclusive les temps de parole partisane. 

En d’autres termes, on ne saurait apprécier le pluralisme en comptant seulement le temps de parole des personnalités parlant au nom d’un parti politique. Ainsi le temps de parole de Philippe de Villiers par exemple n’est pas comptabilisé comme « politique ». Il s’agit là d’une aberration à laquelle il faut mettre un terme.

On évalue à 80% les invités des plateaux de CNews pouvant être classés à droite et à l’extrême-droite de l’échiquier politique contre seulement 16% à gauche

. Loin d’être des journalistes, les intervenants sont des polémistes à l’instar d’un Pascal Praud qui sévit également sur Europe 1.

iTélé est devenue CNews en février 2017 après une grève historique qui aura conduit au départ de nombreux journalistes. Aujourd’hui CNews emploie de 200 à 300  journalistes, avec de nombreux intervenants réguliers ou occasionnels qui échappent à une véritable modération de la part des rédactions en chefs. 

Ainsi a-t-on pu subir les affirmations d’Ivan Rioufol, journaliste au Figaro et intervenant régulier sur CNews, selon lequel le ghetto de Varsovie était « un lieu de contaminés, un lieu hygiéniste » ; ou la sortie d’Emeric Pourbaix, dans l’ émission intitulée « En quête d’esprit » qui considérait les IVG comme cause de 73 millions de décès en travers du monde ;  ou enfin, à tout seigneur tout honneur, les dérapages contrôlés de l’animateur Eric Zemmour qui qualifiait indistinctement les mineurs accompagnés « d’assassins et de voleurs ».

Cette démagogie délictuelle s’accompagne malheureusement d’un certain succès d’audience, celle-ci atteignant aujourd’hui 2,8% après être parti de 0,6% pour iTélé…

Tremplin politique et idéologique

C’est dire la force d’un media qui utilise le mensonge, l’agressivité, la mauvaise foi, les fausses-nouvelles, les sondages approximatifs ou falsifiés, les débats qui s’apparentent le plus souvent à des lynchages verbaux contre tout ce qui est rouge, ou contre les syndicalistes, les immigrés, les musulmans...

Dans ce contexte la décision du Conseil d’Etat, suite au recours de RSF, se justifient pleinement. Les canaux hertziens, limités au nombre de 30, ne doivent pas être donnés sans garantie pour le bien et l’intérêt publics. Le droit d’expression ne doit pas se réduire à un droit à la propagande et au mensonge, le journalisme ne doit perdre ses lettres de noblesse mais se fonder pour le moins sur des faits et des événements dont on doit rappeler le contexte. 

On se souvient de ces éditorialistes de CNews, qui sans ambages un jour sur un plateau, se félicitaient d’avoir pu hisser les idées de Zemmour au centre de la vie politique. « C’est grâce à nous » annonçaient-ils en substance, ayant perdu tous sens de la mesure et en proie à une autosatisfaction infantile qui en disait long sur l’intentionnalité de leur projet.

De la même manière que Fox news aux Etats-Unis, Cnews aura déjà eu des effets désastreux sur la démocratie en France. Il est temps que cela s’arrête et qu’on rende au peuple, fût-ce par des moyens de droit, la liberté et la possibilité honnête de s’informer.

JMG

article paru dans "Démocratie et Socialisme" n°314, le Magazine de GDS, Gauche Démocratique et Sociale