« Décivilisation » : E. Macron a repris ce néologisme pour dénoncer la violence de la société. Mais il l’a cultive, il la pratique même, elle n’est pas seulement un repoussoir idéologique qu’il utilise de façon évidemment mensongère, elle est pour lui un moyen de cacher une misère qu’il entend perpétuer en continuant de « réformer » un pays pour qui précisément la notion de réforme a perdu tout son sens. Dans une certaine continuité néo-libérale, la « réforme » est synonyme de déclassement aussi bien collectif qu’individuel. Elle est même devenue pour beaucoup le signal douloureux de la colère, voire l’aspiration inéluctable à la révolte. Les « réformes » successives des retraites, et plus singulièrement la dernière en date, resteront dans l’histoire sociale comme une illustration des impérities gouvernementales en la matière. Elle est là la violence.
Il est des réformes particulièrement
nocives et pernicieuses en cela qu’elles ajoutent à la régression la volonté de
diviser la société, plus particulièrement sur le dos des plus démunis. Ainsi
en–est-il de cette « réforme » du RSA qui à l’inutilité sociale
ajoute une certaine forme de démagogie consistant à désigner du doigt des gens
qui, comme certains à droite le prétendent, profiteraient du système.
La réforme du RSA (revenu de
solidarité active), après celle de l’assurance chômage participent de cette
attaque contre la civilisation. Car une véritable civilisation, digne de ce
nom, sert précisément à ne laisser personne en dehors du chemin, à donner à
chacun la chance de s’en sortir lorsque les accidents de la vie découragent les
plus résistants. Macron et son gouvernement, et l’ensemble de sa majorité qui
d’ailleurs n’en est plus une, divise et stigmatise.
Le projet de loi prévoit que chaque
bénéficiaire du RSA devra avoir une activité de 15 à 20 heures par semaine sous
peine de voir leur allocation réduites ou supprimée. Les activités proposées (ou
imposées) pourront être de tout type, ce qui pourra permettre aux entreprises
ou collectivités d’avoir une main d’œuvre à bon marché. C’est le risque même si
le gouvernement prétend vouloir aider les bénéficiaires à retrouver un vrai
emploi en les encadrant mieux par un suivi plus étroit exercés par des
« conseillers » ou des travailleurs sociaux. On estime qu’il faudrait
recruter 40 000 conseillers supplémentaires. Qui paiera au final ? N’oublions
pas que le financement du RSA aujourd’hui est essentiellement assuré par les
Conseils Départementaux.
A cet égard les Macronistes ne
disent pas grand ’chose sur les moyens que cette politique nécessitera, et
probablement rien ne sera fait ou si peu à l’heure où le gouvernement relance
la guerre aux « dépenses publiques ».
Cette absence de réalisme en la
matière risque donc d’aggraver encore davantage les effets négatifs de cette
énième réforme anti-sociale. Elle se dévoile qui plus est comme une opération
de communication idéologique du gouvernement qui entend ainsi se rapprocher des
droites extrêmes en stigmatisant tous ceux qui ne participeraient pas activement
à l’enrichissement national ou qui ne feraient qu’en profiter.
Mais il est bon à cet égard de
rappeler que le taux de non-recours est estimé entre 20 et 35%. C’est
considérable et rien n’est fait actuellement pour encourager les bénéficiaires
potentiels à faire valoir leurs droits. C’est même exactement le contraire qui
se produit dans un contexte de stigmatisation des plus pauvres. Tout se passe
comme si on cultivait et instrumentalisait leur honte de manière à circonscrire
ce qu’E. Macron qualifiait de « pognon
de dingue ».
Alors que le taux de pauvreté est
fixé à 1280 euros, ce sont 1,85 million de ménages qui bénéficient du RSA pour
un montant d’un peu plus de 600 euros par mois.
Ce qu’on ne dit pas c’est que
malgré leur bonne volonté beaucoup de ces bénéficiaires n’auront pu trouver
d’activités. Que faire en effet lorsqu’on ne peut financer ou obtenir un permis
de conduire indispensable à l’exercice de « l’emploi » proposé, quelle
solution trouver lorsque généralement on ne bénéficie d’aucune facilité de
mobilité, que les services publics, notamment ceux relatifs à la petite enfance,
sont à ce point absents ou insuffisants pour faire garder ses enfants ? Que
faire lorsqu’une succession d’échecs brise en fin de course toute volonté de
s’en sortir ?
Les travailleurs sociaux mesurent
chaque jour les difficultés que rencontrent ces personnes, souvent des ménages
monoparentaux, pour chercher puis trouver une activité rendue artificiellement obligatoire.
Cette loi si elle était adoptée se révélera foncièrement inutile au regard de
l’exigence d’intégration et de lutte contre la relégation sociale.
Actuellement 40% des
bénéficiaires sont inscrits à Pôle emploi. Le projet de loi dispose que les
bénéficiaires du RSA nouvelle formule devront obligatoirement être inscrits à
Pôle Emploi lequel s’appellera désormais « France Travail ».
La terminologie n’est pas neutre,
elle témoigne d’une volonté gouvernementale de remettre enfin « la France
au travail » dans un contexte où le gouvernement se plait à souligner les
difficultés à trouver du personnel dans des métiers dits « en
tension ».
Les personnes en RSA seront
tenues désormais de signer un contrat d’engagement où seront précisés les
contenus des emplois proposés ainsi que le nom du conseiller qui leur tiendra
lieu de référent. A ce propos la Cour des Comptes elle-même faisait remarquer
que les budgets finançant les accompagnements des allocataires avaient depuis
une vingtaine d’années diminué drastiquement. Beaucoup de moyens
supplémentaires seront donc nécessaires pour rattraper le temps perdu. L’Etat
comme les collectivités concernées en auront-elles la volonté ? Rien n’est
moins sûr.
Les travailleurs de ce pays se
battent pour leur dignité, y compris surtout ceux qui se trouvent
malheureusement privés d’emplois. Vouloir les mettre dans l’obligation de
travailler alors qu’ils aspirent à avoir un emploi décent relève précisément de
l’indignité gouvernementale. Le Revenu de Solidarité Active, après le RMI, doit
être considéré comme un minimum social pour aider à vivre ou à survivre en cas
de chômage.
Ces minimas sociaux ne devraient pas
s’accompagner d’activités forcées. Ils doivent être au contraire prioritairement
majorés et ouvrir à de véritables droits à formation facilitant le retour à des
emplois stables et honorablement rémunérés.
Le recul de l’âge de la retraite
à 64 ans imposée sans aucune discussion par le gouvernement ne va faire
qu’aggraver les choses. De plus en plus de salariés vont se trouver en
situation de précarité avant leur admission tardive à la retraite. Cela risque
de poser des problèmes insolubles aux gestionnaires du RSA.
Ce dernier doit être appliqué sans
condition et redevenir un revenu minimum pour, dans l’attente d’un emploi, simplement
combattre la misère.
JMarc Gardère
article publié dans le numéro 306 de "Démocratie et socialisme"