Oui, l’hôpital est en danger, il brule même, et pour paraphraser cet autre discours sur l’urgence, « nous regardons ailleurs », comme si cela ne nous concernait en rien, menace posée devant nous sans pouvoir la distinguer elle non plus. Sommes-nous devenus malades à ce point pour ne rien voir de l’épée de Damoclès qui pend sur l’hôpital public ?
C’est que le l’hôpital souffre d’abord de l’absence, sans
doute voulue de la part des pouvoirs qui se seront succédés, de débat démocratique.
Le néo-libéralisme, ou le libéralisme à tout crin, sans régulation de l’Etat,
ne font pas bon ménage avec la démocratie ni avec l’intérêt supérieur du
peuple.
André Grimaldi,
professeur émérite de diabétologie au CHU Pitié-Salpétrière à Paris, dresse un
diagnostic de l’hôpital et énumère quelques mesures à prendre pour le sauver :
« L’hôpital nous a sauvé : sauvons le », livre préfacé par Alain
Supiot.
Ce dernier cite Cornélius Castoriadis : «
Faire toujours de son mieux sans en attendre un profit matériel n’a pas de
place dans l’échafaudage imaginaire du capitalisme ». C’est que le serment
d’Hyppocrate doit transcender les lois le plus souvent mortifères du marché. La
politique menée depuis plus de trente ans, fondée sur la course à la rentabilité
et au profit, au mépris de l’intérêt humain, conduit inexorablement à la disparition de
l’hôpital public lequel devrait rester pourtant au centre des politiques publiques
de santé.
Il y a lieu, plus que jamais, d’exiger la continuité du
service et son libre et égal accès pour tous, conceptions qui sont étrangères
par nature au secteur privé. L’hôpital doit rester à appartenir à tous et à
chacun. C’est sans compter les exigences des marchés financiers et les
prescriptions de l’Union européenne.
Rénovation ou
privatisation ?
André Grimaldi nous rappelle l’enjeu actuel de la
privatisation qui menace. Deux-cent vingt milliards d’euros pour les dépenses
de santé constituent un trésor potentiel qui suscite l’envie des puissances
d’argent. On peut y ajouter les dépenses de la branche vieillesse soit
cent-trente-neuf milliards par an.
Pour profiter de ce gâteau prometteur la stratégie
néo-libérale s’attache à affaiblir l’hôpital. Jusqu’à trente pour cent des lits
sont aujourd’hui fermés. Dix pour cent des Français n’ont pas de médecins
traitants et la pénurie devrait être effective jusqu’en 2030.
L’actuelle insuffisance, voire la défaillance de la médecine
de ville constituent avec la conception d’hôpital-entreprise deux causes
essentielles de la menace qui pèse sur l’hôpital.
La charte de la médecine libérale prévoit depuis 1927 la
liberté d’installation et le paiement à l’acte combinées au début des années
soixante-dix avec la mise en place du numérus clausus.
Résultat moins de 40% des médecins de ville prennent encore
des gardes si bien que les patients sont amenés désormais à considérer
l’hôpital comme un médecin de premier recours. C’est donc la médecine de
proximité qui se montre insuffisante.
André Grimaldi appuie là où ça fait mal en notant que la
Fédération Hospitalière de France (FHF) est présidée par des politiques n’appartenant
pas au monde hospitalier, tels Gérard Larcher, Claude Evin… ceux-ci relayant et
promouvant une gouvernance de l’hôpital conforme à une orthodoxie bien en cour au
sein de l’Union européenne.
L’hôpital-entreprise
C’est à partir de l’année 2004 qu’est introduite la
tarification à l’activité, (dite T2A comme pour obscurcir plus encore la
question), utile à susciter une concurrence entre les établissements
hospitaliers tout en donnant l’avantage à ceux appartenant au secteur privé :
quatre grandes chaînes internationales financiarisées (Ramsay, Elan, Vivalto,
Almaviva…) lesquelles opteront pour les activités profitables, notamment la
chirurgie ambulatoire, au détriment des non rentables comme l’obstétrique. Dans
le même temps les dépassements d’honoraires augmentaient de plus de 30% entre
2012 et 2017.
En 2009 la loi Bachelot supprimait le service public
hospitalier au profit d’une gouvernance d’entreprise menée par un directeur
administratif « seul maitre à bord ». Etait inscrite dans la loi la
recherche de la rentabilité. Le « codage » décrié à juste titre par
les soignants accompagnait donc désormais une marchandisation du système, le
« business » plan l’emportant sur la visée médicale.
Le budget hospitalier ne progressait en moyenne qu’un peu
plus de 2% alors que celle des dépenses se situait entre 4 et 4,5%. La
paupérisation s’avançait donc et plus encore s’agissant de psychiatrie dont la
dotation dépassait tout juste un pour cent en moyenne annuelle.
Le débat était dès lors escamoté et confisqué par une élite
technocratique « conseillée » par des sociétés telles que Capgemini
ou bien encore Mckinsey qui récemment défrayait la chronique pour des marchés
illégalement attribués au prix fort.
Plusieurs types de manipulation pour tuer ou dissoudre le
service public hospitalier comme le montage de partenariat public privé rompu à
une répartition inégale des tâches : au privé les les activités rentables,
au public les plus dépensières.
La solidarité plutôt
que la charité
L’hôpital est à la croisée des chemins. André Grimaldi
propose dix mesures quelque peu inégales et parfois difficiles à mettre en
œuvre tant le système hospitalier souffre depuis des décennies d’une
marchandisation rampante mais impitoyable. Un plan de santé publique sur cinq
ans s’annonce nécessaire pour que la solidarité prime à nouveau sur la charité.
La santé est un bien supérieur à tous les autres. Rien dans les politiques
menés par l’actuel gouvernement ne présage de bon pour la santé publique. Il
est plus facile semble-t-il de faire une réforme des retraites inutile que de
sauver l’hôpital. Macron s’acharne, il ne fera aucun cadeau.
L’hôpital est un bien
précieux, vital, qui nous appartient encore, ne permettons pas son
saccage.
JMG
article paru dans le n°301 de "Démocratie et Socialisme" le magazine de la Gauche Démocratique et Sociale (GDS)