jeudi 30 mai 2024

Pénurie de médicaments : Reprendre la main sur un bien commun

Les pharmaciens s’en plaignent, ils sont sur la ligne de front, les premiers concernés à gérer une pénurie devenue endémique et qui plus est s’aggrave. 

L’industrie du médicament en France est malade, nous la voyons sombrer, impuissants, alors qu’il est bien question de vie et de mort. Doit-on être nécessairement en grande souffrance pour le comprendre ? L’industrie pharmaceutique en France est en péril par le biais d’une démission délibérée de l’Etat qui ne paraît plus capable, même s’il le voulait à nouveau, de défendre l’intérêt de la population dans un souci égalitaire réduit à peau de chagrin.

 Est-ce trop tard ?

Les logiques privées des laboratoires, dans leur course effrénée à la rentabilité financière, ont pris le pas sur des politiques qui ont oublié le rôle primordial de l’Etat dans son rôle de régulation, voire de création de richesse et de bonheur, un Etat Providence auquel on fait semblant de ne plus croire, ou que l’on dédaigne pour des raisons idéologiques.

Ainsi manquons-nous désormais de médicaments anti-cancéreux, d’antalgiques, dans un pays, la France, qui pourrait se vanter encore d’être le cinquième producteur de médicaments dans le monde. 

Les pénuries concernent principalement les médicaments  aux molécules les plus anciennes. Leur moindre rentabilité désintéresse les laboratoires et les industriels, pressés par les impératifs financiers. Que fait le gouvernement ? 

Les effets d’annonce ne suffisent plus à un gouvernement Macron à cet égard démissionnaire.

Pourtant le Code de la santé publique garantit le principe d’un « approvisionnement approprié et continu » en médicaments. Pour y répondre le gouvernement tente d’instaurer depuis 2021 des plans de gestion pour contrecarrer une disette qui ne veut pas dire son nom. Ainsi oblige-t-on les industriels et les laboratoires à constituer des réserves au moins pour les médicaments MITM (Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur). 

La Commission Européenne a dressé un inventaire de ces substances actives qui, au nombre de 200,  peuvent constituer une base de fabrication de médicaments essentiels et vitaux. Une liste de 450 médicaments a été également dressée par le gouvernement français mais sans que cela aboutisse à vaincre la pénurie. Par ailleurs, beaucoup de médicaments tout aussi essentiels n’étaient nullement répertoriés, comme dans les domaines de l’ophtalmologie et de la gynécologie.

Des listes, pour quoi faire ?

Sauf que dresser des listes ne résout pas les problèmes de fond.

Aux yeux du gouvernement français, le cas du paracétamol reste emblématique, ou symbolique. Le gouvernement a mis un point d’honneur à relocaliser cette fabrication. Cette relocalisation à l’intérieur de nos frontières bénéficie d’un taux de 40% de  subvention (ou d’avance remboursables) venant de l’Etat. L’usine ainsi implantée en Isère devrait couvrir en 2025 jusqu’à la moitié de la consommation de paracétamol en Europe. 

Notons que l’entreprise en question, du groupe Sequens, dépend financièrement d’un fonds de pension américain, ce qui illustre s’il en était besoin, la difficulté de sortir des logiques financières. Logiques qui de surcroît sont susceptibles d’entraîner des fusions-acquisitions fragilisant grandement ces entreprises. En dix ans, dix-mille emplois en France ont été supprimés dans l’industrie pharmaceutique.

C’est pourquoi d’une manière ou d’une autre, en France comme à l’étranger, les Etats seraient inspirés de reprendre la main pour créer un rapport de force qui leur soit plus favorable afin de combattre une financiarisation mortifère parce que sans foi ni loi. 

Les relocalisations pour l’heure demeurent extrêmement limitées. Cet hiver la pénurie d’amoxicilline a marqué les esprits car elle concernait plus particulièrement la pédiatrie. Quatorze producteurs se disputent ce marché dont six seulement dans l’union européenne. 

Les principes actifs de cet antibiotique sont produits, comme l’ont documenté récemment certains reportages télévisés, en Chine ou en Inde, soit 80% de la production (contre 20% il y a trente ans). Outre les effets désastreux pour l’environnement, ces sites de production ne bénéficient pas d’un contrôle approprié comme ils peuvent heureusement l’être en France ou en Europe.

On mesure mal combien les industries pharmaceutiques, malgré le discours libéral ambiant auxquelles elles tiennent,  fonctionnent et vivent grâce à de l’argent public. En France le principal pourvoyeur reste la sécurité sociale. 

Mais les aides aux entreprises sont également mis à contribution pour engraisser indirectement des actionnaires qui trouvent là un formidable filon d’enrichissement. Le monde financier considère la santé comme une mine potentielle qu’il convient d’arracher aux pouvoirs publics.

Un rapport du Sénat relève que le secteur pharmaceutique est l’un des plus grands bénéficiaires en volume du CIR (crédit impôt recherche), soit plus de 700 millions d’euros en 2020. Ne perdons pas de vue par ailleurs que les risques financiers liés au vaccin ARN contre le Covid 19 ont été assumés principalement par la puissance publique.

C’est dire que l’Etat est en droit d’avoir des exigences en direction d’entreprises privés largement épaulées par des aides étatiques diverses, en contradiction le plus souvent avec l’intérêt général. Ces entreprises revendiquent des prix suffisamment élevés pour prétendument financer la recherche et le développement de nouveaux remèdes innovants. Ce sont ces médicaments aux prix artificiellement prohibitifs qui entraînent les profits les plus élevés. 

Tout cela aux dépens d’une sécurité sociale dont on se plait à dénoncer par ailleurs le déséquilibre chronique. Si on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage. 

Les gouvernements se refusent à demander des comptes aux industries pharmaceutiques au nom d’un libéralisme sensé être plus efficace qu’une régulation et des stratégies étatiques. Ainsi les accords de libre-échange infligent-ils aux Etats des situations de compétition qui participent à l’opacité générale du secteur. Le voudraient-ils que les Etats ne sont même plus capables de réguler un marché qui aujourd’hui met en péril notre système de santé. Ne voit-on pas la menace ? Que fait-on pour l’éviter ?

Pour un pôle public du médicament

Le libre-échange débridé met en péril des entreprises pourtant jusqu’ici réputée robustes comme Sanofi par exemple. Cette entreprise va jusqu’à tailler dans ses effectifs et erre, comme d’autres, de plan de restructuration en plan de restructuration. Ainsi l’entreprise décidait de supprimer la recherche et développement dans les domaines du diabète et des maladies cardio-vasculaires. Course folle et criminelle à la rentabilité ! 

On a vu que les industries pharmaceutiques prenaient prétexte de prix bas imposé par les Etats pour gonfler les prix des médicaments les plus innovants, notamment ceux soignant  les maladies rares. D’où les bénéfices exorbitants des entreprises de médicament dont l’essentiel ne va pas forcément à des investissements productifs mais plutôt dans les poches d’actionnaires sans conscience. 

Ce chantage en rajoute sur la nécessité de créer un pôle public du médicament qui permette enfin une gouvernance excluant la mainmise d’intérêts financiers privés.

Un pôle public du médicament permettrait de relancer la recherche qui au bout du compte ne doit pas servir seulement à trouver des sources de profit destinées à des intérêts particuliers. Le monde du travail, par le biais de gouvernements qui le défende, doit garder la main sur une Sécurité Sociale véritablement solidaire et démocratique. 

Cela passe donc aussi par une ré-industrialisation de la production des médicaments à l’intérieur des frontières nationales, ou européennes pour le moins. 

L’enjeu au fond est de sortir le médicament du secteur marchand. 

Il est urgent, vital et nécessaire de reprendre le contrôle de l’industrie pharmaceutique. Il en va de l’indépendance thérapeutique de notre pays. La nationalisation n’est pas un vilain mot. On peut même envisager d’autres formules, par exemple la création d’un établissement  public industriel et commercial. Cet Epic serait chargé, en échappant ainsi à toute spéculation boursière, de miser sur une industrie pharmaceutique dirigée uniquement dans l’intérêt des populations.

JMG








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