lundi 3 octobre 2022

Privatisation du rail : pas bon pour les usagers, pas bon pour le climat

 Les transports collectifs par nature pourraient, si volonté politique il y avait, constituer un atout pour combattre le réchauffement climatique dont les effets s’imposent aujourd’hui au monde entier de manière dramatiquement évidente.

C’est pourquoi il est important de se pencher sur le mode de gestion des transports collectifs en les faisant correspondre à leur statut naturel de bien commun.

 

Le train en particulier est un moyen de transport collectif qui doit être géré dans le souci de cet intérêt général auquel l’idéologie libérale  fait obstacle depuis de nombreuses années en Europe.

Jusqu’au début des années mille neuf cent quatre-vingt-dix le rail était généralement sous gouvernance et gestion publiques.  

Dérégulation et démantèlements

Au Royaume-Uni le rail aura été libéralisé dès les années 1980 sous le règne sans concession de Margaret Thatcher qui donnera en quelque sorte le « la » à l’ensemble de l’Europe. Cela concernait aussi bien l’exploitation que la gestion du réseau. Cela aura conduit à des catastrophes, y compris humaines et sociales. Voir à cet égard le film de Ken Loach « The navigators » de 2001, qui brosse un tableau réaliste du monde des cheminots britanniques après la privatisation de l’ensemble du réseau ferroviaire.

En Italie la libéralisation se produit à partir de 2000 sur les lignes régionales, et c’est en 2012 que le gouvernement italien concédera des lignes à grande vitesse « low cost » à un opérateur privé.

En Allemagne la libéralisation remonte aux années quatre-vingt-dix mais l’Etat fédéral reste cependant maitre et responsable du réseau, et reprendra plus tard à son compte la dette de la « Deutsch Bahn ».

La France bien sûr ne sera pas en reste et aura la volonté de demeurer le bon élève de l’Europe en matière de libéralisation du transport ferroviaire.

Pour la Commission Européenne, enserrée dans l’obsession (1957) d’une concurrence libre et non faussée, cette dérégulation doit permettre  le renforcement de la compétitivité d’entreprises ferroviaires à visage nouveau, ainsi débarrassées du carcan que leur imposeraient les Etats dans leur fonction d’autorité organisatrice de transport.

La Commission dès 1991 se détermine pour une séparation entre la gestion des infrastructures et leur exploitation. Ainsi est créée Réseau Ferré de France (RFF) séparée désormais de la SNCF société historique ( RFF deviendra Sncf Réseau en 2015).

En 2001, sous le vocable d’un « premier paquet ferroviaire », les Etats membres de l’Union se mettent d’accord pour un projet de libéralisation du fret européen qu’il soit trans-national ou national. Il est même prévu de mettre en place des autorités indépendantes de contrôle permettant de veiller à l’instauration  de cette sacro-sainte concurrence.

Puis on assiste en 2004 à la mise en place d’un deuxième paquet ferroviaire qui libéralise complétement le fret pour tous les Etats de l’Union. Ainsi est effective en 2006 une ouverture à la concurrence du fret international et en 2007 celle du fret national. Le fret ferroviaire n’y aura rien gagné et au contraire le transport routier aura pris le dessus contre toute sagesse environnementale.

En 2007 encore un « troisième paquet ferroviaire » libéralise le transport international de passagers et ce à partir de 2010.

En 2016 un « quatrième paquet ferroviaire » vise alors le transport national de passagers. Rappelons-le que l’Allemagne et le Royaume Uni avaient déjà enclenché et largement réalisé l’ouverture de leur réseau à la concurrence.

Fin 2019, en France, s’ouvrent à la concurrence des lignes conventionnées telles que les lignes régionales TER et les lignes Inter cités dépendantes de l’Etat. Idem pour les TGV qui en principe sont eux aussi soumis à concurrence, notamment sur les lignes internationales.

Mais ce ne sera encore qu’une possibilité pour toute autorité organisatrice de transport, l’obligation ne deviendra effective qu’en 2023.

L’objectif est une ouverture totale à la concurrence en 2039 au plus tard, y compris le Transilien en région ile de France.

 

Un passage en force

Il faut bien souligner que rien n’obligeait l’Etat français à s’attaquer au statut des cheminots, ce qu’il fit pourtant en mettant fin aux embauches sous statut dès le 1er janvier 2020.

De même rien ne contraignait les conseils régionaux à appliquer de suite les directives européennes de libéralisation. C’est pourtant ce que firent plusieurs régions, fortes de la possibilité, qu’elles ont désormais depuis décembre 2019, d’attribuer l’exploitation de leur réseau ferroviaire à d’autres opérateurs que la SNCF.

La région PACA vote ainsi sans tarder, en décembre 2019, le principe d’une délégation de service public pour la ligne emblématique Marseille-Nice. Son président de droite, Renaud Muselier, reprochait à la SNCF sa « mauvais productivité ». Cela prenait les accents d’une véritable punition infligée à l’opérateur historique.

Quant à la région Grand-Est, elle aussi à la pointe de la libéralisation, son président naïvement ou coupablement, se plaisait à parier sur une économie de 30% des frais de fonctionnement.

 Le cas de la région Bourgogne Franche Comté

Un cas en effet puisque ce fut la première région de « gauche » à vouloir ouvrir son réseau de TER (trans-express régional) à la concurrence. L’ensemble de ses 17 lignes qui représentent 1951 kms au total seront donc soumis à appel d’offre mettant de fait l’opérateur historique, la SNCF, en difficulté. Le droit européen implique que soit mis en concurrence l’ensemble du réseau au travers d’un seul contrat (à la différence des lignes TGV qui peuvent se négocier ligne par ligne.)

La région BFC, qui s’est donc prononcée (le parti communiste et le rassemblement national avait voté contre) pour une libéralisation du rail sur tout son territoire pouvait tout aussi bien signer avec la seule SNCF avant le 25 décembre 2023 pour une durée de dix ans ce qui prolongeait le contrat avec l’opérateur historique jusqu’en 2033.

Pour l’heure, les agents de la SNCF restent dans une incertitude quant à l’évolution de leurs carrières. Et surtout ils s’interrogent sur la perte de sens de leurs métiers ainsi que sur la marche de leur entreprise publique au service d’usagers qui eux-mêmes bien souvent ne s’y retrouvent plus.

Bien sûr les organisations syndicales, et en particulier la CGT, se sont élevées contre ce passage en force de la région BFC. A sa tête une présidente appartenant au parti socialiste mais qui  aura choisi E. Macron dès le départ pour ensuite soutenir des candidats de la NUPES aux législatives de 2022.

Ce confusionnisme politique n’est pas tout à fait le fruit du hasard, il épouse ou fait craindre une absence de sérieux politique quant à l’avenir du rail. La bonne gestion de celui-ci commanderait pourtant, dans l’intérêt général, plus de stabilité et davantage de sérénité.

On sait que le secteur du  transport (y compris le fret) représente une part importante dans l’émission de CO2 (plus de 33% en France). La route en représente plus de 80%, suivie du transport aérien avec 15%, et du ferroviaire avec seulement 2%.

C’est dire l’enjeu stratégique du rail en matière de transition énergétique. La France en la matière semble vouloir rattraper son « retard » mais à l’envers du progrès contrairement à des pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou l’Italie qui reviennent, forts de l’expérience,  à des gestions plus transparentes et davantage maîtrisées des transports collectifs.

Notre pays semble plus que jamais au cœur d’une course effrénée vers une dérégulation qui ne mène à rien d’autre qu’à un sous-investissement des réseaux ferrés, et qui donc  empêchent une stratégie de développement du rail. Il est temps de remettre en cause cette politique même si la Commission Européenne, appuyée voire instiguée par un gouvernement français complice, exige de rester maîtresse du jeu en faisant valoir coûte que coûte, d’une manière peu démocratique, une doctrine néo-libérale incapable de répondre à l’exigence d’une transition écologique harmonieuse et efficace.

JMarc Gardère


NB : article publié dans Démocratie et Socialisme n° 297 de septembre 2002

 

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