Les transports collectifs par nature pourraient, si volonté politique il y avait, constituer un atout pour combattre le réchauffement climatique dont les effets s’imposent aujourd’hui au monde entier de manière dramatiquement évidente.
C’est pourquoi il est
important de se pencher sur le mode de gestion des transports collectifs en les
faisant correspondre à leur statut naturel de bien commun.
Le train en particulier est un moyen de transport collectif
qui doit être géré dans le souci de cet intérêt général auquel l’idéologie
libérale fait obstacle depuis de nombreuses
années en Europe.
Jusqu’au début des années mille neuf cent quatre-vingt-dix le
rail était généralement sous gouvernance et gestion publiques.
Dérégulation et
démantèlements
Au Royaume-Uni le rail aura été libéralisé dès les années
1980 sous le règne sans concession de Margaret Thatcher qui donnera en quelque
sorte le « la » à l’ensemble de l’Europe. Cela concernait aussi bien
l’exploitation que la gestion du réseau. Cela aura conduit à des catastrophes, y
compris humaines et sociales. Voir à cet égard le film de Ken Loach « The
navigators » de 2001, qui brosse un tableau réaliste du monde des
cheminots britanniques après la privatisation de l’ensemble du réseau
ferroviaire.
En Italie la libéralisation se produit à partir de 2000 sur
les lignes régionales, et c’est en 2012 que le gouvernement italien concédera
des lignes à grande vitesse « low cost » à un opérateur privé.
En Allemagne la libéralisation remonte aux années
quatre-vingt-dix mais l’Etat fédéral reste cependant maitre et responsable du
réseau, et reprendra plus tard à son compte la dette de la « Deutsch Bahn ».
La France bien sûr ne sera pas en reste et aura la volonté de
demeurer le bon élève de l’Europe en matière de libéralisation du transport
ferroviaire.
Pour la Commission Européenne, enserrée dans l’obsession (1957)
d’une concurrence libre et non faussée, cette dérégulation doit permettre le renforcement de la compétitivité
d’entreprises ferroviaires à visage nouveau, ainsi débarrassées du carcan que
leur imposeraient les Etats dans leur fonction d’autorité organisatrice de
transport.
La Commission dès 1991 se détermine pour une séparation entre
la gestion des infrastructures et leur exploitation. Ainsi est créée Réseau
Ferré de France (RFF) séparée désormais de la SNCF société historique ( RFF deviendra
Sncf Réseau en 2015).
En 2001, sous le vocable d’un « premier paquet
ferroviaire », les Etats membres de l’Union se mettent d’accord pour un
projet de libéralisation du fret européen qu’il soit trans-national ou national.
Il est même prévu de mettre en place des autorités indépendantes de contrôle
permettant de veiller à l’instauration
de cette sacro-sainte concurrence.
Puis on assiste en 2004 à la mise en place d’un deuxième
paquet ferroviaire qui libéralise complétement le fret pour tous les Etats de
l’Union. Ainsi est effective en 2006 une ouverture à la concurrence du fret
international et en 2007 celle du fret national. Le fret ferroviaire n’y aura
rien gagné et au contraire le transport routier aura pris le dessus contre
toute sagesse environnementale.
En 2007 encore un « troisième paquet ferroviaire »
libéralise le transport international de passagers et ce à partir de 2010.
En 2016 un « quatrième paquet ferroviaire » vise
alors le transport national de passagers. Rappelons-le que l’Allemagne et le
Royaume Uni avaient déjà enclenché et largement réalisé l’ouverture de leur
réseau à la concurrence.
Fin 2019, en France, s’ouvrent à la concurrence des lignes
conventionnées telles que les lignes régionales TER et les lignes Inter cités
dépendantes de l’Etat. Idem pour les TGV qui en principe sont eux aussi soumis
à concurrence, notamment sur les lignes internationales.
Mais ce ne sera encore qu’une possibilité pour toute autorité
organisatrice de transport, l’obligation ne deviendra effective qu’en 2023.
L’objectif est une ouverture totale à la concurrence en 2039
au plus tard, y compris le Transilien en région ile de France.
Un passage en force
Il faut bien souligner que rien n’obligeait l’Etat français à
s’attaquer au statut des cheminots, ce qu’il fit pourtant en mettant fin aux
embauches sous statut dès le 1er janvier 2020.
De même rien ne contraignait les conseils régionaux à
appliquer de suite les directives européennes de libéralisation. C’est pourtant
ce que firent plusieurs régions, fortes de la possibilité, qu’elles ont
désormais depuis décembre 2019, d’attribuer l’exploitation de leur réseau
ferroviaire à d’autres opérateurs que la SNCF.
La région PACA vote ainsi sans tarder, en décembre 2019, le
principe d’une délégation de service public pour la ligne emblématique
Marseille-Nice. Son président de droite, Renaud Muselier, reprochait à la SNCF
sa « mauvais productivité ». Cela prenait les accents d’une véritable
punition infligée à l’opérateur historique.
Quant à la région Grand-Est, elle aussi à la pointe de la
libéralisation, son président naïvement ou coupablement, se plaisait à parier
sur une économie de 30% des frais de fonctionnement.
Un cas en effet puisque ce fut la première région de
« gauche » à vouloir ouvrir son réseau de TER (trans-express
régional) à la concurrence. L’ensemble de ses 17 lignes qui représentent 1951
kms au total seront donc soumis à appel d’offre mettant de fait l’opérateur
historique, la SNCF, en difficulté. Le droit européen implique que soit mis en
concurrence l’ensemble du réseau au travers d’un seul contrat (à la différence
des lignes TGV qui peuvent se négocier ligne par ligne.)
La région BFC, qui s’est donc prononcée (le parti communiste et
le rassemblement national avait voté contre) pour une libéralisation du rail
sur tout son territoire pouvait tout aussi bien signer avec la seule SNCF avant
le 25 décembre 2023 pour une durée de dix ans ce qui prolongeait le contrat
avec l’opérateur historique jusqu’en 2033.
Pour l’heure, les agents de la SNCF restent dans une
incertitude quant à l’évolution de leurs carrières. Et surtout ils
s’interrogent sur la perte de sens de leurs métiers ainsi que sur la marche de
leur entreprise publique au service d’usagers qui eux-mêmes bien souvent ne s’y
retrouvent plus.
Bien sûr les organisations syndicales, et en particulier la
CGT, se sont élevées contre ce passage en force de la région BFC. A sa tête une
présidente appartenant au parti socialiste mais qui aura choisi E. Macron dès le départ pour
ensuite soutenir des candidats de la NUPES aux législatives de 2022.
Ce confusionnisme politique n’est pas tout à fait le fruit du
hasard, il épouse ou fait craindre une absence de sérieux politique quant à l’avenir
du rail. La bonne gestion de celui-ci commanderait pourtant, dans l’intérêt
général, plus de stabilité et davantage de sérénité.
On sait que le secteur du
transport (y compris le fret) représente une part importante dans
l’émission de CO2 (plus de 33% en France). La route en représente plus de 80%,
suivie du transport aérien avec 15%, et du ferroviaire avec seulement 2%.
C’est dire l’enjeu stratégique du rail en matière de
transition énergétique. La France en la matière semble vouloir rattraper son
« retard » mais à l’envers du progrès contrairement à des pays comme
l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou l’Italie qui reviennent, forts de
l’expérience, à des gestions plus
transparentes et davantage maîtrisées des transports collectifs.
Notre pays semble plus que jamais au cœur d’une course
effrénée vers une dérégulation qui ne mène à rien d’autre qu’à un
sous-investissement des réseaux ferrés, et qui donc empêchent une stratégie de développement du
rail. Il est temps de remettre en cause cette politique même si la Commission
Européenne, appuyée voire instiguée par un gouvernement français complice, exige
de rester maîtresse du jeu en faisant valoir coûte que coûte, d’une manière peu
démocratique, une doctrine néo-libérale incapable de répondre à l’exigence d’une
transition écologique harmonieuse et efficace.
JMarc Gardère
NB : article publié dans Démocratie et Socialisme n° 297 de septembre 2002
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