On peut tout lui faire dire à la République et beaucoup dans l’Histoire ne s’en sont pas privés en tordant les valeurs qui lui sont attachées, en les distordant même jusqu’à en faire des outils de la répression.
Jean-Fabien Spitz, professeur de philosophie politique, dans son
essai*, revient sur les conséquences des politiques économiques et sociales qui
affectent la population laborieuse depuis une quarantaine d’année en France.
Ainsi il rappelle que la part des salaires sur la valeur ajoutée en France a
baissé de 10 points passant de 74% en 1977 à 64% en 2007 au profit direct du
capital. Cela est dû à des politiques délibérées produisant une précarité
accrue au sein du salariat. Il souligne
en parallèle le repli identitaire qui affecte un bon tiers de l’électorat.
La question est de savoir comment sont considérées les
valeurs républicaines dans un contexte de capitalisme triomphant, et surtout de
quelles interprétations ou utilisations elles sont l’objet.
Le versant politique du libéralisme se limite seulement aux
droits des individus et s’oppose à l’idée d’un Etat régulateur. La tyrannie de
la marchandisation peut donc se déployer sans plus d’entrave. Paradoxalement le
capitalisme agressif a besoin d’un Etat suffisamment fort lui garantissant la
concurrence dans un marché qui vitalement doit rester en extension.
Mais ce capitalisme sans entrave fait que la société qui
l’engendre se délite sous la frappe des inégalités sociales ou économiques. Le
capitalisme triomphant ne peut ignorer longtemps la démocratie politique, ne
serait-ce que pour se fonder sur une adhésion citoyenne dont il a un absolu
besoin. Il s’agit donc pour ce libéralisme de veiller à produire du
« consentement » pour lui
permettre de poursuivre son développement.
C’est ici qu’intervient « la République » mais telle
que veulent la penser les néo-libéraux abandonnant et niant par là-même sa
mission séculaire d’émancipation, au profit d’un autoritarisme délibéré. Cette
république-là, méconnaissable, affaiblie à l’extrême, ne fait donc plus
obstacle à « la tyrannie de la marchandisation » mais au contraire la
façonne à sa manière en faisant croire à la fusion prétendument heureuse des
rapports marchands avec l’autorité politique. La république se transforme en
conséquence en un alibi pour la défense
de l’ordre établi. Et Spitz de rappeler un Adolphe Thiers réprimant, sous la
Commune, les forces démocratiques qui défendaient une société d’égaux libres et
indépendants.
C’est au nom de cette république falsifiée que sont votés par
exemple des lois qui portent atteinte aux libertés publiques. Et de citer, si
proches de notre actualité, les lois de répression et de surveillance telles
celles de mars 2010, ou encore la loi « anti-casseurs » du 10 avril
2019, et enfin celle scélérate du 25 mai 2021 « pour une sécurité
globale » même si elle fut, en partie, (notamment l’article 24 du projet),
jugée anticonstitutionnelle.
Ainsi nait et se développe une idéologie de nature
sécuritaire contraire à un impératif de sûreté soucieux de l’intérêt général.
Les discriminations et exclusions sont niées, et l’inégalité consacrée sous le
couvert d’une « égalité » apparente ou abstraite, dans un contexte d’accélération
déraisonnée des inégalités sociales, comme dans notre pays depuis quelques
dizaines d’années. L’exclusion ainsi engendrée dans notre société alimente de
surcroit le repli identitaire au lieu de le combattre comme le ferait une
République sociale exemplaire.
Quant à la liberté, dépendante du marché, calibrée à son
service, elle se voit privée de ses valeurs politiques qui pourtant fondent la
souveraineté du peuple. La liberté individuelle, avec le contrat comme mode de
fonctionnement, s’établit au détriment d’une liberté collective capable de
promouvoir et de défendre l’indépendance des plus faibles dans la société.
La valeur de fraternité est donc elle-même remise en cause
par le marché puisque ce dernier ne saurait tolérer l’inquisition d’un Etat
providence qui chercherait à déterminer les besoins individuels, à juger le
mode de vie des plus pauvres, et qui prétend les assister–« un pognon de
dingue ! » – au lieu de créer les conditions de leur
indépendance économique.
Relativement à la notion de laïcité, la République est
convoquée, mais là encore de manière frauduleuse, pour conforter et affirmer
les identités religieuses, nationales ou culturelles à un moment où précisément
ceux qui emploient ce vocabulaire s’ingénient à détruire les institutions
sociales qui rendent possible la cohésion nationale.
Dès lors, la République devient une arme des conservateurs,
une manière pour la droite de dissimuler les inégalités et non plus une arme de
la gauche pour défendre une société égalitaire. Ce ne doit pas être une raison
pour en abandonner le principe.
La République doit rester celle de Louis Blanc ou de Jaurès,
Louis Blanc qui écrivait un an avant sa mort : « la République ce
n’est pas seulement l’hérédité monarchique supprimée, le principe d’association consacrée, le droit
de réunion reconnu, la conscience affranchie, la pensée libre. La République,
c’est l’école ouverte aux pauvres comme aux riches, c’est la possession des
instruments de travail rendue de plus en plus accessible aux
travailleurs ; c’est l’abolition graduelle du prolétariat ; c’est
l’incessante recherche des moyens à employer pour que tous arrivent à pouvoir
développer librement leurs facultés inégales, pour que la joie des uns ne
s’achète pas au prix de la douleur des autres. »
Si l’on veut éviter l’extrémisme, il est une seule solution
viable, celle de réduire les inégalités sociales par la voie d’une véritable
démocratie politique, définition même d’une République responsable, factrice d’émancipation citoyenne.
Jaurès n’a-t-il pas dit du socialisme qu’il était la République
jusqu’au bout ?
JMarc Gardère
*La République ?
Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme politique, Jean-Fabien
Spitz, Gallimard, NRF essais
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire