samedi 17 janvier 2015

Cruelles et étranges journées

Étranges journées que celles de cette mi-janvier, attentats ciblés contre le supermarché casher Porte de Vincennes, contre Charlie-Hebdo, contre les forces de l’ordre, balles soi-disant perdues mais pas pour cet agent de la voirie de la ville de Montrouge en région parisienne encore, les joues transpercées de part en part d’une balle de Kalachnikov, ou, au contraire, balle bien déterminée destinée à sa collègue policière municipale qui portait pourtant ce jour-là, à cause de ce qui s’était passé la veille à Charlie-Hebdo, un gilet pare-balles. Mais il est des gilets qui n’arrêtent pas les balles en tout cas celles qu’on vous tire dans le dos.
L’émotion donc, entière, à répétition au gré des événements, et des images qu’on vous lance en pleine gueule par chaînes d’information que l’on dit à continue, émotion nerveuse, fébrile, qui submerge tout un pays et qui se traduit par des rassemblements dont on avait oublié qu’ils pouvaient encore être possibles en ces temps de léthargie ou de découragement social.

 Et puis, exceptionnelle journée que celle de ce dimanche 11 janvier, à marquer d’une pierre blanche, ou d’une croix, des millions dans la rue, et, en tête, décalés, hors zone, une bande de chefs d’Etat dont certains, vu le contexte, n’avaient pas là leur place surtout qu'ils la prenaient au nom de la solidarité, ou de la défense du droit d’expression, eux qui dans leur pays ne les respectent pas ou qui signent leur action par des crimes de guerres dont ils frappent les autres peuples, le plus souvent leurs voisins immédiats. Cette journée parisienne leur aura donné l’occasion de se refaire, aux yeux du monde, une virginité dont le peuple, le vrai, on espère en tout cas, n’aura pas été dupe.

Et le peuple précisément, qui était-il ce-jour-là, que voulait-il au juste, et quelle était surtout la nature exacte de la réponse qu'il voulait donner à ces crimes ? Était-elle bien politique cette réponse ? N’était-elle pas dictée seulement par une indomptable désarroi qu'aurait pu soigner une monstrueuse et nécessaire psychanalyse collective, alimenté qu'il était ce désarroi par l‘impossibilité de penser ces événements hors du commun, hors du quotidien paisible ? Ce vaste, cet énorme rassemblement a eu cela de singulier qu’il demeurait indéfinissable. N’était-il pas porté seulement par une émotion dont on cherche encore l’issue ? Étrange aussi car cette marche n'était révolutionnaire que par son caractère inattendu.

Ces mouvements de foule ne sont pas de nature à éliminer le danger qui nous guette, celui précisément de contenir la liberté d’expression au nom de la lutte contre le terrorisme. Ainsi apprend-on que des agents municipaux à Lille ont été suspendues parce qu’ils auraient refusé de participer à la minute de silence ? L'ampleur de ces manifestations justifierait-il qu'on sonde ainsi les consciences et qu'on empêche de penser librement ? Serait-il interdit de ne pas s'appeler Charlie ? Plus grave encore le risque de réponse sécuritaire dont on voit poindre déjà les excès aux dépens des libertés qui pourtant justifiaient l'ampleur de "nos" mobilisations.
On a vu même, question bêtise, un maire UMP interdire la diffusion dans sa commune du film "Timbunktu" qui met en scène des Djihadistes. Ou encore le maire de Reims refusant que l'un des terroristes fût enterré dans sa ville, comme si le bannissement devait s'exercer même au-delà de la mort.  On a fait mieux en matière d'apaisement. Ces "terroristes" n'étaient-ils pas français ? Ne faudrait-il pas aussi pour expliquer le phénomène chercher dans nos insuffisances, celles qui empêchent la République d'être chez elle en France ?
La peur peut rendre idiot et certains politiques ne sont pas en reste alors qu'ils devraient être les premiers à donner l'exemple du sang-froid.
L’issue immédiate, irraisonnée, on la connaît, elle se traduit pour l’heure par, précisément, une remise en question de la liberté d’expression. C’est un paradoxe, je ne suis pas sûr que Charlie en aurait ri.

Mais maintenant ? Que restera-t-il de tout ceci, l’émotion passée après l'essorage du réel ?

Il s'agit collectivement de garder son sang-froid, l'émotion ne doit pas être l'unique conseillère, combattre le terrorisme d'accord mais comprendre d'où il provient pour, à l'avenir, éviter le pire. L'urgence bien sûr, mais aussi l'action à long terme même de la réflexion morale et politique.

D'abord prendre conscience que la politique étrangère de la France n'est pas forcément la bonne, elle est atlantiste, à la merci de ce que veulent les Etats-Unis. Le monstre créé là-bas par l'Occident date déjà de 2003 au moins. Bush père ou fils ont joué un jour avec le feu et c'est nous qui nous brûlons. La France n'est grande que lorsqu’elle reste universelle, indépendante, disponible pour trouver des solutions politiques non partisanes et non guerrières. Aujourd'hui, et c'est bien dans la continuité sarko-hollandiste, elle prend parti le plus souvent contre le monde arabe qu'elle semble ne plus connaître. Hollande a envoyé ses Rafales en Irak comme si ces quelques bombes pouvaient faire taire à jamais l'Etat Islamiste, laissant notre pays en première ligne, sous le regard insistant de Washington. Cette attitude géo-politique fait plus d'effets que quelques caricatures de Mahomet, lesquelles ne sont en définitive qu'à la surface des volontés guerrières.

Ensuite il s'agit de renouer avec une politique sociale qui serait digne d'un gouvernement qui continue à se prétendre de gauche. Il est temps de reprendre les politiques de la ville, au besoin revisitées, dans les cités bien sûr, pour éviter, combattre au moins la relégation urbaine, ces endroits où la République, faute de crédits, faute de volonté, faute de services publics, recule d'année en année.

Les frères Coulibaly sont des fils de la prison, ils y sont nés, ou ce fut leur école, c'est en prison qu'ils ont appris leur métier de terroriste (décidément ce mot n'est pas le bon, il en faudrait un autre pour mieux rendre compte de cette triste réalité s'agissant de nos compatriotes), la prison est une école d'application de la délinquance ou comme ici du meurtre pur et simple. Il suffit d'y ajouter les effets d'une idéologie mortifère et débile qui d'ailleurs le plus souvent n'a plus grand chose à voir avec la religion. Et donc les seules réponses sécuritaires ne sont pas les bonnes. La tentation est grande de la part de certains politiques, et tellement plus facile, pour tout penser sous l'angle de la répression au détriment de l'éducation dont on fait les citoyens.


Pour que l’émotion légitime de tout un peuple puisse être productive il faut y adjoindre la réflexion érigée si possible en projet politique. Ce n'est pas le chemin qui est pris aujourd'hui. L'avenir de notre pays pourtant en dépend, il ne dépend pas seulement des larmes versées ou des sanglots, gardons-nous de l'émotion, ou plutôt de ses excès, dont nous laisserons la plus grande part aux esthètes.
Ils en feront meilleur usage.

JMG


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire