jeudi 7 mai 2020

Surveiller ou punir, ou les deux

Georges Orwell*, dans son livre autobiographique "Dans la dèche à Paris et à Londres", décrit la façon dont était traités les vagabonds, qu'on appelait aussi les chemineaux, dans l'Angleterre des lendemains de la guerre 14-18 puis au cours des années vingt et trente du siècle dernier.

Sans domicile fixe, sans travail, ces hommes ou ces femmes étaient condamnés éternellement à faire le tour du pays cheminant ainsi de gîte en gîte. Le temps de ces séjours y était limité, il fallait éviter que ces vagabonds, pour des raisons sanitaires ou sociales, s'incrustent où que ce soit.

Les chemineaux étaient donc tenus d'errer d'asile en asile. Vagabonds par obligation dans un circuit infernal, ils étaient encadrés par les employés de ces asiles et surveillés par la police, de façon quasi-captive, bien que toujours en mouvement sur les routes.
Ainsi le pouvoir les enfermait dans cette course sans fin. Ils ne pouvaient en sortir que s'ils retrouvaient enfin un travail qui puisse les remettre cette fois dans le circuit productif exigé par la société industrielle et capitaliste.

Les temps ont changé. Mais nous sommes nous aussi surveillés. Faute de vigilance collective cette surveillance pourra finir de nous dévorer, favorisée voire sanctifiée par cette autre exigence ré-apparue récemment, tout aussi brutale, l'exigence sanitaire.

Ainsi des drones ont pris l'air pour surveiller les sentiers de randonnée, des drones gendarmes  pour vérifier que personne ne commettre le crime de longer les rives du Lac des Rousses dans le Haut-Jura.
On a même vu des hélicoptères, sur la côte Atlantique, survoler des passants pour leur commander de quitter des plages sur lesquelles ils se promenaient. Le ridicule, même héliporté et dispendieux, ne tue pas. Les velléités de contrôle des populations sont toujours aussi vives de la part de tout Pouvoir et du nôtre en particulier.

C'est pourquoi il faut saluer à cet égard les actes de résistance, encore trop rares, contre cette société de surveillance qu'on voudrait plus ou moins discrètement nous imposer.

Comparaison n'est pas raison, nous ne sommes plus au siècle dernier ni même encore en "1984", et pourtant...A Lons-le-Saunier, zone rouge de l'audace en la matière, le Maire de la ville qui ne parvient pas à quitter son fauteuil de maire depuis déjà quelques mandats, tient lui aussi à son projet de télésurveillance.
En février dernier le conseil municipal votait donc sans trop de problèmes, dans un élan majoritaire absolu dont notre démocratie française a le secret, une convention entre l'Etat et la ville pour la mise en place de cette vidéo-protection.
Comme si à Lons-le-Saunier la violence à feu et à sang se rencontrait à tout bout de rue. Comme si il n'y avait d'autre solution qu'une surveillance inefficace pour imposer une paix civile qui d'ailleurs ne fut jamais réellement menacée.

Il est heureux que Julien Da Rocha, citoyen de la ville, technicien forestier de son état, "gilet jaune" d'où ses quelques ennuis, conteste ladite délibération pour la raison que cette décision n'avait pas été précédée d'une étude d'impact qui concerne la protection des données personnelles.
Bien que tout à fait justifié, ce recours a valu à son auteur de se faire traiter de "délinquant" par le Préfet**, celui-ci oubliant la neutralité qui l'oblige en tant que représentant de l'Etat dans le département.

Le moyen de droit invoqué devrait aboutir au retrait de ladite délibération. Cette lutte doit être saluée en défense des droits et liberté des personnes et des citoyens que nous sommes.
Ces droits sont aujourd'hui trop souvent bafoués au nom d'une sécurité qui s'avère n'être qu'une chimère.


JMG

* l'auteur de 1984, c'est bien le même
** La Voix du Jura en date du 30 avril dernier

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