Un député de la Nupes, Aurélien Saintoul, membre de la France insoumise, c’était le 13 février dernier en plein débat parlementaire sur les retraites, traitait d’assassin Olivier Dussopt le ministre du travail. Ce dernier s’en était offusqué et avait demandé des excuses à l’intéressé qui dans la foulée s’était exécuté, sous la pression semble-t-il de son propre camp soucieux d’une crédibilité qu’il entendait ne pas perdre.
La question derrière la polémique
Le député Aurélien Saintoul soulignait
que la contre-réforme des retraites, la énième du genre, ajoutée à la politique
gouvernementale depuis 2017, se trouvaient en corrélation avec l’augmentation
des victimes d’accidents du travail et de maladie professionnelle. On peut
prendre le terme d’ « assassin » au premier degré comme l’ont
fait, pour des raisons politiciennes, les députés macronistes.
L’attaque du député Saintoul
était sérieuse, elle touchait à une réalité douloureuse, la vie au travail elle-même dans ce qu’elle peut
avoir de pénible ou parfois de mortel.
Aurélien Saintoul appuyait là où
ça fait mal, soulignant l’augmentation des accidents mortels du travail depuis
quelques années (de 550 cas en 2017 à 733 en 2019). Il y aurait en France, selon
Eurostat, 3000 accidents du travail par an pour 100 000 salariés, plaçant
notre pays parmi les plus exposés. L’assurance maladie a comptabilisé 645 morts
au travail en 2021 pour 800 000 cas d’accidents du travail.
On note que les travailleurs
intérimaires payent un plus lourd tribu que les permanents. Toutefois le nombre
d’accidents, toujours selon l’assurance maladie, aurait accusé une baisse de
près de 10% entre 2019 et 2021, baisse consécutive selon elle à de meilleures
formations dispensées aux apprentis.
On compte deux fois plus
d’accidents du travail chez les hommes que chez les femmes, les métiers exercés
étant plus à risque pour les uns que pour les autres et parce qu’il apparait
que les femmes apportent une plus grande attention aux respects des
préventions.
On note également que la
fréquence et la gravité des accidents augmente avec l’âge ce qui milite pour un
âge de départ à la retraite moins avancée. La logique est implacablement
d’actualité : plus tôt vous partez en retraite moins vous risquerez l’accident
au travail.
Les secteurs les plus concernées
sont par ordre d’importance le bâtiment, la logistique et l’agriculture en des
lieux et conditions de travail multiples dans la nature des risques, (charges
lourdes, travaux en hauteur, intempéries…)
Les milieux du BTP dévoilent
une sinistralité plus grande dans la
mesure où les intervenants sont variés et qu’une multitude de petites
entreprises sont susceptibles d’intervenir rendant d’autant plus difficile la
diffusion des pratiques de prévention.
Sont également concernés, mais
avec peut-être un peu moins d’intensité tous les métiers liés aux activités
minières, aux travaux agricoles ou forestiers. L’éloignement de ces lieux de
travail des centres de secours sont un facteur supplémentaire de risques.
Il en est un autre, plus global
et plus structurel, lié à l’externalisation des tâches, opérée par les grandes
entreprises ou les grands groupes industriels et commerciaux auprès
d’entreprises sous-traitantes. Celles-ci sont rendues particulièrement
vulnérables par le manque de culture de prévention des risques. D’autant plus
que les instances représentatives de personnel sont ici beaucoup moins
présentes pour organiser la prévention. L’exposition aux risques n’est pas
compensée, comme c’est le cas des grandes entreprises, par un respect plus
ordonné de mesures préventives visant à réduire les risques de maladie
professionnelles ou d’accidents du travail.
Plus généralement il est à noter
que les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont en progression importante
depuis quelques années (gestes répétitifs ou vibrations par exemple par
l’utilisation d’engins). Soulignons enfin l’importance et la persistance des
risques psychosociaux consécutifs globalement à la désappropriation par les
salariés des processus de production ; ou dus à un management très souvent
inapproprié, déterminé par des exigences toujours plus grandes en productivité dans
le contexte d’un capitalisme financier triomphant.
Un monde du travail fragilisé
C’est dire l’importance de dispositions
législatives et réglementaires visant à protéger la santé comme la sécurité des
salariés. En 1982 le Comité d’Hygiène et de sécurité devenait le CHSCT montrant
l’attention portée (lois Auroux) par le gouvernement de l’époque aux conditions
de travail. La mesure semblait révolutionnaire : le CHSCT s’affranchissait
ainsi du comité d’entreprise dont la compétence se limitait à la dimension
économique de l’entreprise.
Malheureusement et depuis le 1er
janvier 2020 une nouvelle loi travail disposait de la suppression du CHSCT dans
un but inavoué mais assez clair : fragiliser le contre-pouvoir syndical
dans les entreprises en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de
travail. Tout cela dans le contexte d’une politique dite de l’offre traditionnellement
attribuée à la droite mais menée par un Emmanuel Macron (succédant à Hollande),
privilégiant la liberté des entreprises plutôt que les souhaits et les intérêts
des salariés. Cela entre en résonnance avec une dévalorisation du travail
passant par la diminution des moyens accordés à l’inspection du travail par
exemple.
Ainsi sont supprimées les
instances de représentation des salariés, comité d’entreprise, les délégués du
personnel et CHSCT se transforment en une structure unique : le Comité
Social et Economique (le CSE), le CHSCT se réduisant en une simple commission.
La même chose devait s’appliquer dans l’ensemble des fonctions publiques.
Depuis une vingtaine d’années les
Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail avaient fait leurs
preuves pour compenser ou diminuer réellement les risques que subissent les
salariés dans l’exercice de leurs métiers. En cela le CHSCT était respecté de
l’ensemble du patronat. Son avatar, la commission Santé, Sécurité et Conditions
de Travail (SSCT), ne pourra donc plus jouer pleinement le même rôle
d’expertise : elle n’en aura plus les moyens répondant ainsi à une
pression patronale exercée de longue date. Cela s’accompagne d’une diminution
drastique du nombre d’heures de délégation des représentants du personnel.
Bien sûr les membres des
gouvernements qui auront été à l’origine de la fragilisation des
contre-pouvoirs en matière de conditions de travail ne sont pas pour autant des
assassins. En cela le député Saintoul avait tort. Mais il avait raison en
dénonçant des politiques publiques qui, ne prenant pas la juste mesure des
choses en matière de droit du travail, peuvent conduire au pire.
JMG
article paru dans le n°303 mars 2023 de Démocratie et Socialisme
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