vendredi 30 janvier 2015

Râleurs

Ce qu’on appelle les charges des entreprises sont en réalité des cotisations sociales constitutives du salaire que perçoivent les véritables acteurs de l’entreprise que sont les employés, les ouvriers et les cadres.
Simplement ce sont des salaires différés qui se traduisent tôt ou tard en prestations sociales, en offres de santé ou sous forme de retraites lesquelles d’ailleurs ne sont pas perdues pour l’économie mais au contraire redistribuées.
Or contrairement aux idées reçues, et aux diverses manifestations de patrons qui attendrissent même notre ministre de l'économie, ces « charges », autrement dit ces salaires, ont baissé depuis la fin des années quatre-vingt -dix, et en tout cas n’ont pas augmenté.
En pourcentage de la valeur ajoutée de ces entreprises, les cotisations ou les impôts représentaient près de 24 % de la valeur ajoutée alors qu’ils n’en représentent aujourd’hui que 23%.

On se demande dès lors si ces chefs d’entreprise ne devraient pas chercher ailleurs les raisons de leur colère.

JMG


(billet paru dans le Progrès de Lyon du 9 décembre 2014) 









samedi 24 janvier 2015

L'euro moribond

Mais pas tout à fait mort encore, tout juste blessé, profondément, alors que certains s'ingénient à cacher ou retarder cette mort annoncée. Que la Banque Centrale Européenne autorise "une mesure d'assouplissement quantitatif", et de l'ampleur annoncée par Mario Draghi son président, est révélateur de cette lente agonie de la monnaie unique européenne.

D'abord apprécions comme il se doit les formules, leur côté étrange et savant qui permet à nos "économistes" de cacher la réalité, ou de penser l'enjoliver par un langage aussi pompeux que technocratique. Mais c'est que le bon peuple n'a pas besoin de comprendre : on pense pour lui.
Retenons sans nous laisser impressionner qu'une mesure d'assouplissement quantitatif, "quantitative easing" en anglais dans le texte, signifie faire tourner la planche à billet, pratique qui n'a rien de magique contrairement à ce que nos Européistes ont toujours voulu nous faire croire, et qui au contraire est largement utilisée par les États-Unis ou les Britanniques. La zone euro est la seule au monde qui s'interdit elle-même de battre monnaie se privant ainsi d'un moyen essentiel de sa politique économique.

Tous ses ennuis ne viennent pas de là mais il faudrait sortir de ce dogme premier pour combattre tous ceux qui en découlent dont les politiques d'austérité qui tuent les peuples ou, au mieux, les dégoûtent de l'Europe et de ses idéaux.

Ces rachats désormais possibles de dettes publiques, dont le gouvernement Allemand, et pas seulement pour sauver les apparences, ne veut pas qu'il soit opérés par la BCE mais par les États eux-mêmes, seront donc garantis par ces derniers.

Ainsi les dettes souveraines ne seraient plus un obstacle de la reprise économique, du moins le croit-on, du moins l'espère-t-on, les Etats nationaux devenant ou redevenant, responsables au final de leur dette publique (à hauteur de 80%) et redevables ainsi des pertes hypothétiques. Comment parler désormais de solidarité de la zone euro ? L'euro est-il toujours l'euro ? L'euro demeure-t-il une monnaie "unique" ? Peut-être, mais simplement du bout des lèvres.
Les Allemands y voient bien entendu le danger d'une inflation possible, accompagné d'une baisse de l'euro : pas bon pour les retraites par capitalisation pour lesquelles ils ont opté les préférant aux retraites par répartition. C'est pourquoi, ceci dit en passant, il faut continuer à nous battre pour notre système de retraite.

Que vaut-il mieux, le risque raisonnable de l'inflation ou la déflation mortifère qu'aujourd'hui les pays de la zone euro connaissent, et parmi eux plus cruellement la Grèce ?
Nos oligarques ont peur de voir la gauche, la vraie, triompher en Grèce. N'est-ce pas cette peur qui les a fait fait tant soit peu se bouger jusqu'à ce que la BCE elle-même remette en cause les dogmes des traités européens, donnant ainsi raison au peuple français qui les avait rejetés il y a dix ans déjà en 2005 ?

Mais cette opération de la BCE, acceptée de mauvaise grâce par l'Allemagne, ne servira à rien si on continue de mener des politiques d'austérité aussi inutiles et nuisibles que celle que nous connaissons.
Il faudra notamment se défaire du pacte de responsabilité, comme si les critères imbéciles de Maastricht ne suffisaient pas !, pacte dont le gouvernement Hollande s'est fait le chantre, plongeant ainsi le pays dans la récession dans la continuité du sarkozisme.
Il faut redonner confiance aux forces productives de ce pays, plutôt qu'aux milieux financiers qui ne produisent rien. Ainsi il est urgent qu'un gouvernement de gauche, notamment, s'attelle à des négociations salariales dignes de ce nom, et surtout renonce à s'attaquer, comme il le fait aujourd'hui, au droit du travail et à l'ensemble des salariés de ce pays. Bruxelles n'a pas à nous dicter sa loi, écrite ou non par le petit Macron.

Car ne pas revenir sur les politiques d'austérité actuellement en usage en Europe ne servira à rien et la décision le 22 janvier de la BCE ne fera au contraire qu'accentuer les bulles spéculatives.
Il est grand temps de revenir à l'économie réelle en relançant une demande qu'on doit espérer sociale et écologique.

JMG

samedi 17 janvier 2015

Cruelles et étranges journées

Étranges journées que celles de cette mi-janvier, attentats ciblés contre le supermarché casher Porte de Vincennes, contre Charlie-Hebdo, contre les forces de l’ordre, balles soi-disant perdues mais pas pour cet agent de la voirie de la ville de Montrouge en région parisienne encore, les joues transpercées de part en part d’une balle de Kalachnikov, ou, au contraire, balle bien déterminée destinée à sa collègue policière municipale qui portait pourtant ce jour-là, à cause de ce qui s’était passé la veille à Charlie-Hebdo, un gilet pare-balles. Mais il est des gilets qui n’arrêtent pas les balles en tout cas celles qu’on vous tire dans le dos.
L’émotion donc, entière, à répétition au gré des événements, et des images qu’on vous lance en pleine gueule par chaînes d’information que l’on dit à continue, émotion nerveuse, fébrile, qui submerge tout un pays et qui se traduit par des rassemblements dont on avait oublié qu’ils pouvaient encore être possibles en ces temps de léthargie ou de découragement social.

 Et puis, exceptionnelle journée que celle de ce dimanche 11 janvier, à marquer d’une pierre blanche, ou d’une croix, des millions dans la rue, et, en tête, décalés, hors zone, une bande de chefs d’Etat dont certains, vu le contexte, n’avaient pas là leur place surtout qu'ils la prenaient au nom de la solidarité, ou de la défense du droit d’expression, eux qui dans leur pays ne les respectent pas ou qui signent leur action par des crimes de guerres dont ils frappent les autres peuples, le plus souvent leurs voisins immédiats. Cette journée parisienne leur aura donné l’occasion de se refaire, aux yeux du monde, une virginité dont le peuple, le vrai, on espère en tout cas, n’aura pas été dupe.

Et le peuple précisément, qui était-il ce-jour-là, que voulait-il au juste, et quelle était surtout la nature exacte de la réponse qu'il voulait donner à ces crimes ? Était-elle bien politique cette réponse ? N’était-elle pas dictée seulement par une indomptable désarroi qu'aurait pu soigner une monstrueuse et nécessaire psychanalyse collective, alimenté qu'il était ce désarroi par l‘impossibilité de penser ces événements hors du commun, hors du quotidien paisible ? Ce vaste, cet énorme rassemblement a eu cela de singulier qu’il demeurait indéfinissable. N’était-il pas porté seulement par une émotion dont on cherche encore l’issue ? Étrange aussi car cette marche n'était révolutionnaire que par son caractère inattendu.

Ces mouvements de foule ne sont pas de nature à éliminer le danger qui nous guette, celui précisément de contenir la liberté d’expression au nom de la lutte contre le terrorisme. Ainsi apprend-on que des agents municipaux à Lille ont été suspendues parce qu’ils auraient refusé de participer à la minute de silence ? L'ampleur de ces manifestations justifierait-il qu'on sonde ainsi les consciences et qu'on empêche de penser librement ? Serait-il interdit de ne pas s'appeler Charlie ? Plus grave encore le risque de réponse sécuritaire dont on voit poindre déjà les excès aux dépens des libertés qui pourtant justifiaient l'ampleur de "nos" mobilisations.
On a vu même, question bêtise, un maire UMP interdire la diffusion dans sa commune du film "Timbunktu" qui met en scène des Djihadistes. Ou encore le maire de Reims refusant que l'un des terroristes fût enterré dans sa ville, comme si le bannissement devait s'exercer même au-delà de la mort.  On a fait mieux en matière d'apaisement. Ces "terroristes" n'étaient-ils pas français ? Ne faudrait-il pas aussi pour expliquer le phénomène chercher dans nos insuffisances, celles qui empêchent la République d'être chez elle en France ?
La peur peut rendre idiot et certains politiques ne sont pas en reste alors qu'ils devraient être les premiers à donner l'exemple du sang-froid.
L’issue immédiate, irraisonnée, on la connaît, elle se traduit pour l’heure par, précisément, une remise en question de la liberté d’expression. C’est un paradoxe, je ne suis pas sûr que Charlie en aurait ri.

Mais maintenant ? Que restera-t-il de tout ceci, l’émotion passée après l'essorage du réel ?

Il s'agit collectivement de garder son sang-froid, l'émotion ne doit pas être l'unique conseillère, combattre le terrorisme d'accord mais comprendre d'où il provient pour, à l'avenir, éviter le pire. L'urgence bien sûr, mais aussi l'action à long terme même de la réflexion morale et politique.

D'abord prendre conscience que la politique étrangère de la France n'est pas forcément la bonne, elle est atlantiste, à la merci de ce que veulent les Etats-Unis. Le monstre créé là-bas par l'Occident date déjà de 2003 au moins. Bush père ou fils ont joué un jour avec le feu et c'est nous qui nous brûlons. La France n'est grande que lorsqu’elle reste universelle, indépendante, disponible pour trouver des solutions politiques non partisanes et non guerrières. Aujourd'hui, et c'est bien dans la continuité sarko-hollandiste, elle prend parti le plus souvent contre le monde arabe qu'elle semble ne plus connaître. Hollande a envoyé ses Rafales en Irak comme si ces quelques bombes pouvaient faire taire à jamais l'Etat Islamiste, laissant notre pays en première ligne, sous le regard insistant de Washington. Cette attitude géo-politique fait plus d'effets que quelques caricatures de Mahomet, lesquelles ne sont en définitive qu'à la surface des volontés guerrières.

Ensuite il s'agit de renouer avec une politique sociale qui serait digne d'un gouvernement qui continue à se prétendre de gauche. Il est temps de reprendre les politiques de la ville, au besoin revisitées, dans les cités bien sûr, pour éviter, combattre au moins la relégation urbaine, ces endroits où la République, faute de crédits, faute de volonté, faute de services publics, recule d'année en année.

Les frères Coulibaly sont des fils de la prison, ils y sont nés, ou ce fut leur école, c'est en prison qu'ils ont appris leur métier de terroriste (décidément ce mot n'est pas le bon, il en faudrait un autre pour mieux rendre compte de cette triste réalité s'agissant de nos compatriotes), la prison est une école d'application de la délinquance ou comme ici du meurtre pur et simple. Il suffit d'y ajouter les effets d'une idéologie mortifère et débile qui d'ailleurs le plus souvent n'a plus grand chose à voir avec la religion. Et donc les seules réponses sécuritaires ne sont pas les bonnes. La tentation est grande de la part de certains politiques, et tellement plus facile, pour tout penser sous l'angle de la répression au détriment de l'éducation dont on fait les citoyens.


Pour que l’émotion légitime de tout un peuple puisse être productive il faut y adjoindre la réflexion érigée si possible en projet politique. Ce n'est pas le chemin qui est pris aujourd'hui. L'avenir de notre pays pourtant en dépend, il ne dépend pas seulement des larmes versées ou des sanglots, gardons-nous de l'émotion, ou plutôt de ses excès, dont nous laisserons la plus grande part aux esthètes.
Ils en feront meilleur usage.

JMG


mardi 6 janvier 2015

Vœux à la gauche et au parti…socialiste

Jean Ziegler dans une récente interview au Progrès de Lyon, déclarait, sévère : « En France avec Hollande le socialisme est même devenu un gros mot. » On souhaite néanmoins au parti socialiste de redevenir une force de propositions, d'être à nouveau écouté et respecté par ceux qu’il a portés au pouvoir mais aussi par sa propre direction nationale, d'être à nouveau un parti démocratique où le débat reste plus important et moins rare que l'invective ou la volonté de bannir.
Il est pathétique, triste, de voir ce grand parti ne pas réagir, ou si peu, ou de manière si limitée, aux actions ou à l’inaction d’un pouvoir qui manifestement - la nomination de Valls et de Macron, pourtant ultra minoritaires, est à cet égard symptomatique - se moque de lui et de ses militants. Ces derniers, s'ils ne l'ont pas déjà quitté, en ont-ils au moins conscience ? Qu’en attendent-ils ? Sa mort programmée ?

 La grande majorité des mesures prises par le gouvernement actuel est contraire aux orientations contenues dans le projet socialiste voté au congrès de Toulouse de 2012, projet pourtant modéré mais qui avait encore quelques accents progressistes qu'on a coutume d'attribuer à la gauche. Il y avait notamment dans ce projet la volonté collective de porter à 40% le taux d'imposition des sociétés privilégiant les dividendes des actionnaires, tout comme étaient prévus les dispositifs pour dissuader les licenciements boursiers, on pourrait encore mentionner cette volonté de réinvestir les super profits des pétroliers dans l'aide à l'isolation et pour le développement des économies renouvelables, on proposait encore d'imposer au moins autant les revenus du capital que ceux du travail. Si cela s'avère n'avoir été que des mots, le traumatisme risque d'être grand et son écho n'a pas fini de résonner dans l'histoire de la gauche toute entière.

A la place qu'avons-nous eu ? Une politique de l'offre, austéritaire, inefficace, qui rappelle le libéralisme ringard d'un Giscard d'Estaing, une réforme territoriale inutile, dispendieuse et déstabilisante, telle une misère qui cache la misère, une remise en question fondamentale du code du travail, et banane sur le gâteau, une loi Macron dont le caractère conservateur n'épargnera pas le monde du travail. Alors, pourquoi ce silence, pourquoi cette propension à vouloir écarter ceux des militants qui, ne comprenant pas ces revirements, entendent bien encore s'exprimer ? Y aurait-il trop de monde au parti socialiste ?

Le parti s’étiole. Ce ne serait pas grave, car au diable le patriotisme partisan, si cela ne mettait en péril la gauche toute entière. Cette dernière, au lieu de se réjouir ici ou là de l'affaiblissement idéologique de ce parti ferait mieux de s’en inquiéter. Car c’est sa crédibilité même qui est touchée, la gauche est malade de l’ (encore) principal parti qui la compose.

Et donc il faut dénoncer, plus encore de l’intérieur que de l’extérieur, car ce sont les militants et adhérents qui ont été trahis, la dérive conservatrice du gouvernement mais aussi celle de la direction actuelle du PS laquelle, comme par magie, se propage dans les fédérations. Ainsi a-t-on vu à la fin du mois de décembre le texte signé d’une quarantaine de secrétaires fédéraux, dont celui du Jura, texte sans véritable contenu politique autre qu'un soutien sans condition à l’action de l’actuel gouvernement.

Où est passé l’esprit critique ? Où est passée surtout la démocratie, car ce texte n’a pas même été soumis aux militants.

Le traumatisme de la trahison est particulièrement violent, je forme ici le vœu que ce traumatisme militant ne signe la mort d'un parti socialiste encore nécessaire aux forces de la transformation sociale.
Rendez-vous est donné au congrès de Poitiers, ce pourrait être là sa dernière chance.

JMG